vendredi 25 avril 2014

Escales en Polynésie

Nous apercevons l’île de Fatu hiva en fin de matinée du 11/04, elle sort de l’Océan en dévoilant ses falaises hostiles et ses flans de montagnes abrupts dont les sommets vont se perdre dans les nuages. Ce décor a quelque chose de mystique qui ne fait qu’amplifier à mesure qu’on s’approche… Nous contournons l’île par le nord jusqu’à la baie de Hanavave où se trouvent déjà quelques bateaux dont certains nous sont familiers. Je souhaite à quiconque en a l’occasion de découvrir les Marquises, et plus particulièrement cette île, en y arrivant en bateau, le décor nous coupe le souffle, entre montagnes vertes, végétation dense, rochers surplombant le village et dessinant des visages, à la limite du culte religieux! L’ancre jetée nous plongeons à l’eau, chaude et bleue, nous oublions tous nos soucis. Puis enfin nous débarquons dans le petit village avec l’annexe chargée de nos poubelles, malgré notre réticence à les déposer sur cette petite île… Nous n’irons pas loin, les habitants nous font rembarquer nos déchets à bord! Normal. Ici ça sent la rivière et les fleurs, surtout celles de tiaré, une petite église blanche se dresse, petites maisons, cabanes, le tout très propre et soigneusement entretenu, murets de pierres, arbres fruitiers à gogo, chevaux et cochons attachés au bord de la rivière, la cadre est magique! Le village n’est pas grand, il n’y en a que deux sur l’île comptant en tout 350 habitants. Nous ne visiterons que ce village mais c’est déjà assez, les locaux sont tous plus gentils et agréables les uns que les autres, des va nu pieds charmants qui proposent des fruits, non pas à vendre, mais à échanger contre n’importe quoi, outils, bouts, ligne de pêche… Comme la vie à l’air simple! Il n’y a évidement pas de restaurant ici, nous acceptons donc l’invitation à revenir manger le lendemain à une table préparée par les habitants avec d’autres équipages de voiliers. D’ailleurs nous rencontrons quelques équipages qui sont partis après nous des Galapagos et qui sont là depuis quelques jours. Ils ont tous fait bonne navigation en allant chercher les vents très au sud, tous ont fait tourner leur moteur moins de trente heures et hallucinent lorsqu’on leur parle de notre consommation de gasoil. 

 


Après une bonne nuit dans le calme mouillage, nous nous levons comme convenu pour s’atteler au carénage. L’antifouling n’est pas seulement périmé, il est juste inexistant, la coque s’offrant à tous les algues et mollusques désirant s’y nicher. Ainsi une couche de berniques et autres coquillages recouvre intégralement le bateau sous sa ligne de flottaison, pourtant gratté au départ des Galapagos. Cette couche atteint plusieurs centimètres d’épaisseur par endroit, même notre cher capelan n’a jamais connu telle invasion! Nous grattons tous les 4 pendant 2 heures en s’écorchant les phalanges, et c’est relevant le nez après avoir rendu impeccable la coque babord avec Deb que nous nous rendons compte que nous ne somme plus que 2 à travailler, L’un étant déjà sous la douche, l’autre sur le pont. Nous jetons un coup d’œil rapide à leur chantier : la coque tribord. Pas besoin de s’approcher pour voir que le boulot à été bâclé, il reste nombre de grappes de berniques… Nous considérons donc cet abandon de poste comme une fin de chantier général, nous reposons tous nos outils… L’heure est à nouveau au débarquement, Un peu de marche à pied nous détendra.







Nous tombons dans une bonne période car aujourd’hui doit arriver au mouillage l’Aranui, le bateau de ravitaillement avec ses quelques passagers, c’est l’occasion pour les habitants d’organiser une petite fête avec stands d’artisanat local (principalement huiles et sculptures), groupe de musique et danses traditionnelles. L’arrivée de ce bateau est prévue vers 14h, ce qui laisse à Amos l’idée d’une excursion en 4x4 dans l’île en attendant. Ce projet ne nous tente guère, mais nous sommes réquisitionnés pour servir d’interprètes dans une négociation de location. Evidement il s’avère que c’est hors de prix, mais considérant que le gasoil est importé par bidons et qu’il n’y a que 6 voitures dans le village… Je me retrouve à avoir honte lorsqu’on me demande de traduire un comparatif de location avec les Galapagos… Finalement le capitaine paye plein pot, 150 euros, nous sommes embarqués dans l’aventure en tant qu’interprètes pour donner les instructions au chauffeur, lequel s’avère être d’une gentillesse et d’une compagnie fort agréable. Après un demi tour de la honte exigé par nos deux compères pour se mettre d’accord sur la destination puis encore un second pour aller retrouver un téléphone égaré, nous arrivons enfin à la cascade tant attendue, le chauffeur commençant à être agacé par leur attitude, d’autant qu’ils se prennent la tête en hébreux à travers la voiture pour on ne sait quelle raison, et nous autres faisons tampon au milieu… On regrette… L’ambiance est aussi froide que la flotte en arrivant au pied de la cascade, si bien qu’en retournant à la voiture ils décident d’en rester là avec l’excursion et je dois traduire que nous souhaitons rentrer… On a honte… Nous ferons bande à part le reste de la journée en prenant bien soit de les éviter, eux et leurs propos à traduire.



Après la fameuse danse traditionnelle donnée au débarcadère nous filons vers la rivière en s’arrêtant en chemin pour ramasser une noix de coco et un pamplemousse. Bord de rivière génial, mais avant même d’éventrer nos fruits nous subissons un assaut de moustiques tigres, nous sommes obligés de battre en retraite vers la montagne en nous disant que là haut nous serons tranquilles. Que n’est ni, après une bonne montée nous redescendons illico, chaque halte étant un véritable supplice pour nos peaux de touristes, un régal de sang frais pour les moustiques. Finalement nous abandonnons notre coco et mangeons notre pamplemousse sur les rochers de la digue du port… là où l’on est partit quelques heures plus tôt. Coucher de soleil sur la baie et raies qui dansent entre les bateaux…







18h, il fait déjà nuit, c’est curieux d’ailleurs, nous nous retrouvons tous les quatre. Ils étaient repartis en voiture pour dévaliser un magasin, ils déchargent du 4x4 des cartons remplis de denrées, sans aucune mesure du besoin local, ils se vantent d’avoir tué le stock de yaourts et autres concombres. C’est sympa pour les locaux, le prochain bateau est dans 3 semaines. Nous portons le tout au bateau et sommes prêt à repartir pour le fameux repas. Nous devons quasiment forcer Amos pour honorer sa parole engagée la veille à propos de notre présence à ce repas, et nous faisons bien car nous serons les seuls à nous y rendre, la table de 19 couverts est pour nous, et nous y faisons honneur! Porc grillé, poulet au coco et aux légumes, bananes cuites, salade de papaye verte, fruits de l’arbre à pain en sauce, poisson grillé, poisson cru au lait de coco et citron, un véritable banquet digne d’une fin d’album d’Astérix en Polynésie. Tellement bon que je pense que même Mathilde se serait resservi en poisson cru.  Nous sortons de table repus et nos hôtes nos prépare dans un carton tous les restes, malgré notre refus, nous regagnons l’annexe aussi chargé qu’au premier tour…  Une leçon d’hospitalité! Durant ce repas, on a fait grande preuve de fraternité à notre égard, c’est Ran qui s’y est collé, à notre grande surprise, alors que nos relations ne sont pas vraiment au top, il s’est donc engagé  à relancer l’offre de salaire que nous à promis Amos de 250$. Qu’y voir? Dans les premiers instants une preuve d’amour, mais cette hypothèse est assez dure à avaler. Ou alors très maladroite. Après une intense réflexion nous pensons que cette somme vise à nous maintenir à bord, aussi surement qu’une carotte au bout d’un bâton, car il doit y avoir dans l’air le doux parfum d’un abandon de poste inopiné.

Petit épisode qui nous donne à rêver en repartant, on nous propose un bateau, un voilier d’une dizaine de mètre qui se trouve au mouillage, son propriétaire est partit en laissant là son navire depuis plus d’un an. Le bateau à l’air en bon état, il manque l’étai, c’est déjà bien que le mat soit encore debout depuis tout ce temps. La machine est lancée, on s’imagine déjà capitaines de l’ALTHEA (c’est son nom), sillonnant les mers de Polynésie et plus encore… Nous devons trouver le propriétaire…


Le lendemain matin, 13/04, nous mettons les voiles (enfin, le moteur) jusqu’à Hiva Oa, et 40 milles plus tard nous entrons dans la baie Tahauku. Cette escale est purement d’ordre administrative, nous devons enregistrer notre arrivée à la gendarmerie. Nous y servons encore d’interprètes et une nouvelle fois nous croulons sous la honte de leur mauvaise foi, Ran doit présenter son billet d’avion retour et il tend alors son téléphone dans lequel se trouve le mail de réservation de vol… Evidement les gendarmes n’acceptent pas ce genre de justificatif, le scandale éclate, on entend crier à l’injustice, puis enfin l’intéressé reconnait qu’il à le document papier à bord, il faut donc y retourner. Pour cela Amos exige que la gendarmerie reste ouverte (il est 11h45), Ran exige de la femme qui nous à emmener jusqu’ici en voiture de faire un nouvel aller retour non consentit car elle doit aller chercher son mari… Nous assistons à une véritable colonisation… Amos nous demande de nous taire, il veut gérer seul l’affaire. Nous ignorons sa demande et échangeons avec le gendarme à propos de ce bateau abandonné, il nous donne le nom de son propriétaire, maigre récolte, nous verrons ce que nous pourrons faire avec cela : il s’agit d’un russe répondant au nom de SHERSHAKOV ALIXEY. Si certains lecteurs se sentent une âme de détective, qu’ils n’hésitent pas! Puis enfin l’enregistrement de notre bateau se termine, tout le monde est content de nous voir partir… Le départ est fixé à l’aube demain matin, quartier libre d’ici là, nous prenons congé du reste de l’équipage et partons de notre côté ; nous avons entendu que le Fleur de Lotus est passé là il y a une semaine, il est déjà reparti mais deux équipières ont quitté le bord, il s’agit sans aucun doute d’Amandine et Céline, nous tentons de les retrouver. L’enquête est très courte, nous somme sur une île, tout le monde est au courant, elles sont logées chez Mohie. Les gens sont toujours aussi sympathiques, on nous emmène en voiture jusque là bas. Nous y apprenons que les filles que nous recherchons sont parties en excursion deux vallées plus loin, il est peu probable qu’on les voit… Nous sommes cependant invités à revenir dans cette maison pour le diner. Nous regagnons la voiture et son chauffeur nous invite chez lui à son tour. Quelle hospitalité!



De fil en aiguille nous n’aurons pas réussi à retrouver nos anciennes équipières mais nous aurons visité trois familles, mangé avec eux, échangé des objets, nous aurons fait du 4x4 sur des pistes vertigineuses pour grimper dans la montagne visiter des chasseurs qui nous offrirons en plus de leur hospitalité, nombre de fruit et de victuailles… Une journée très riche, nous avons hâte de revenir! Je signale au passage que chaque personne que nous croisons connait Lydéric, on nous demande de ses nouvelles, nous avons également reçu un mail d’un de ses amis qui à lu notre article à son sujet, cette personne nous propose son hospitalité sur l’île de Raiatea, près de Tahiti. Nous rencontrons également une personne qui se souvient de la mère de Deb à Nuku Hiva!

Dans la nuit je nage jusqu’au bateau pour y reprendre l’annexe afin de retourner chercher Deb et notre trésor de cadeaux, une petite nuit de repos et à l’aube on repart pour une mini escale dans l’île voisine, Tahuata.


15/04, bisous Elora! 6h30, moteur, on lève l’ancre pour la redescendre une petite heure plus tard dans la baie de Hanamoenoa, magnifique par son décor Marquisien, mais offrant en plus une plage de sable, donnant à l’eau une couleur turquoise. Nous ne sommes là que pour 2 heures, des raies Manta immenses nagent autour du bateau, il n’en faut pas plus pour me rendre heureux, je plonge illico à l’eau à la rencontre de ces bêtes. Finalement je déchante lorsque je les vois évoluer vers moi, elles sont aussi grande que moi, je ne sais pas si je dois rester là à savourer le spectacle ou battre vivement en retraite. Est-ce une légende où pas, cette histoire de venin au bout leur queue? Dans le doute je respecte une distance entre nous de 2-3 mètres, ce qui me laisse largement de quoi halluciner, de véritables oiseaux d’eau, nageant sur le ventre, blanc, strié par de larges ouïes, ou sur le dos, noir, avec leur tout petit aileron se terminant en queue de quelques dizaines de centimètres. Leur bouche est grande ouverte quand elles nagent, deux nageoires sont repliées devant celle-ci pour faire une sorte d’entonnoir à gibier… Grand moment de baignade!!!!


L’annexe est mise à l’eau, un carton qui à servit à transporter l’avitaillement s’y trouve. Je m’insurge en voyant Amos le balancer à l’eau, au mouillage, à 30 mètres de la plage. Il rechigne mais le repêche finalement. Nous mettons brièvement le pied à terre, pendant que ces messieurs prennent du bon temps on nous demande de curer l’annexe… Petit détail, le carton n’est plus là, il a du être rebalancé ou enterré dans la plage en douce, incroyable! Ultime baignade et c’est repartit, en quittant le mouillage je me dis que j’aurai peut être du tenter de toucher les raies car je vois un baigneur qui n’hésite pas un instant à se coller à elles, et ça à l’air de très bien se passer… Je suis jaloux…







Curieusement il est décidé de hisser la GV dès la sortie de la baie, nous sommes tous les quatre, l’opération commence bien mais rapidement un problème vient géner la progression de la voile le long du mât. C’est Deborah qui la première situe le défaut : le deuxième ris n’est pas libéré. Ran, recherchant le problème au pied du mât commence à parler de plus en plus fort en hébreux avec Amos qui se trouve à la barre, on sent monter une nouvelle prise de bec entre eux. Nous tentons bien de communiquer la solution à cette situation mais nous somme complètement ignorés, ils s’enfoncent. Au bout de longues minutes Amos me demande d’insister sur le winch pour hisser la voile en force, enfin, je peux en placer une : « the fucking blue reef is not free!!!!!!! »…

Le capitaine à opté pour un régime d’escales express, un vent favorable nous pousse vers les Tuamotu, nous visons l’atoll de Fakarava. Le bateau navigue très correctement à la voile, le vent est stable à 17 nds, hélas cela ne durera que 24 heures. Le reste du trajet se fera au moteur, plus un souffle d’air jusqu’à Fakarava, nous sombrons à nouveau dans la routine, je passerai sur la description de  ces derniers jours de nav, strictement identiques à ceux de la trans Pacifique. Une évolution tout de même, on prend de moins en moins la peine de communiquer, je vous livre donc quelques définitions d’élocutions parmi les plus courantes :
-« hum haaauw », le bras en tension maximale vers le saladier plus un regard lourd et insistant dans notre direction signifie « passe moi la salade ».
-« hum grwoalbflb », la main qui s’agite vaguement dans la direction du cendrier signifie « passe moi le cendrier ».
-« hum smftfff », en mimant le geste du fumeur signifie « donne moi ta cigarette avant de l’allumer et va t’en rouler une autre ».
Je n’ai pas encore eu l’occasion d’identifier la mimique correspondant au remerciement…


Enfin au matin du 19 nous arrivons à Fakarava dans l’archipel des Tuamotu. Cette zone du Pacifique est parsemée de volcans écroulés qui ont vu transformer leurs cratères en atolls, entouré de bandes de sable et de barrières de corail. Nous franchissons la passe Garuae puis allons mouiller avec les autres voiliers dans le lagon. Le ciel gris à notre arrivée se fend enfin puis se retire pour laisser place à un soleil de plomb qui dévoile toutes les nuances de bleu de l’eau qui recouvre les coraux et le sable blanc… « hum bobobo » (c’est joli!)… 


 Nous ne sommes là que pour 4 heures, mais on trouve quand même le moyen de nous refiler du travail. Je me colle au changement des anodes sur les deux arbres d’hélice pendant que le reste de l’équipage astique avec plus ou moins de ferveur la coque au dessus de la ligne de flottaison. Deb et moi nous éclipsons à la nage vers une de ces tâche d’eau turquoise au pied d’une cardinale. Nous y découvrons une petite montagne de coraux qui viennent effleurer la surface de l’eau, cet endroit grouille de vie sous marine, quelques variétés de coraux aux couleurs sable, jaune et vert entre lesquels nagent des poissons de toutes formes, tailles et couleurs. Les flancs de cette « colline » plongent vers les profondeurs, je m’y attarde un peu en apnée tant le spectacle est beau mais j’entretien bêtement la crainte d’une mauvaise rencontre avec une murène, ce qui me gâche un peu le spectacle.


Enfin tout le monde est paré, on va pouvoir mettre l’annexe en service. D’ailleurs je craque, cette sortie est encore mémorable, je ne peux contenir davantage une description un peu moqueuse car il serait injuste de vous dépeindre toutes ces escales sans vous faire profiter de ce tableau : le capitaine et son rapport avec l’annexe. Dans l’utilisation de cette embarcation il ya deux phases principales que sont l’embarquement et le débarquement, la phase de déplacement pure ne méritant pas d’attention particulière.


La mise à l’eau depuis le bateau est aisée, l’annexe gonflable avec son moteur est suspendue au bossoir et manœuvrée grâce à deux drisses assistées de poulies et d’un winch électrique. Une fois décrochée elle est amarrée au bateau, c’est à ce moment qu’embarque en premier le capitaine en tenue officielle : lunettes à couvre nez, casquette-cagoule, short et ti-short anti sudation puis baskets récemment astiquées par Deb à sa demande. L’homme prend place, ajuste au besoin les deux affreuses roues escamotables de l’embarcation puis s’assoit, seul. De notre coté nous savons bien qu’il n’est nul besoin de lui emboiter le pas et de s’installer à bord car il ne va pas tarder à demander assistance : « qu’on me remplisse et m’apporte une bouteille d’eau, qu’on aille chercher la poubelle sous l’évier et qu’on l’embarque, qu’on ferme les portes et fenêtres » et enfin « qu’on porte à moi le bidon d’essence », car il est indispensable d’ajuster le niveau de carburant du moteur à chaque départ. Autant dire que vu l’utilisation qu’on en fait nous ajoutons l’essence à coup de 10cl à chaque sortie. Quand finalement toutes ces requêtes sont soulagées nous pouvons prendre place à bord et larguer l’amarre, le petit moteur de 2,5ch nous propulsant à la vitesse d’une planche de bois à la dérive.
Ca y est, nous ne sommes plus qu’à quelques mètres de la berge, il nous faut maintenant descendre dans l’eau car, rappelons le, le capitaine à chaussé ses baskets, il ne devra pas les mouiller pendant toute la manœuvre. C’est là que ça devient croustillant, tellement que j’emprunte quelques  termes  à Slocum car je ne saurai décrire mieux.  Nous sommes donc chargé de hisser sur le sable, tels des égyptiens, l’annexe, avec à son bord notre capitaine, droit comme une brasse d’eau à la sortie de la pompe de calle, guettant le moment opportun où il pourra débarquer pour fouler le sol sec. Un chef d’œuvre de suffisance.
La mise à l’eau depuis la berge est toute aussi délectable, pendant que nous nous efforçons de soulager l’embarcation de son poids pour la faire glisser à l’eau, notre homme retient notre progression en tirant vers lui l’amarre au cas où l’annexe gagnerait trop vite les flots sans qu’il n’ait pu embarquer au sec. Quand enfin l’annexe est à moitié immergée il se jette dedans d’un bond, se vautrant lamentablement au fond comme le ferai un phoque sur une banquise, puis finalement s’installe en rajustant son couvre chef. De là il n’a plus qu’à réclamer son sac resté sur la berge et à ordonner la fin de la mise à l’eau.


Ah, comme ce personnage entier me donne à écrire! Un sujet de discorde qui nous oppose quasiment à chaque escale refait surface, il est question de nos déchets. Nous serons à Tahiti dans deux jours et il faut quand même qu’il embarrasse ce petit bout de terre avec ses poubelles. Et comme à chaque fois, il dépose ses sacs au premier support qu’il trouve, aux Galapagos c’était à même le débarcadère, ici  on se contentera du premier tronc de cocotier sur la plage. Nous ne parvenons pas à trouver le sentiment exact qui nous envahi dans ces moments là…


Passons, nous avons quartier libre pendant 45 minutes, juste le temps de se dire qu’on resterait bien ici plus longtemps tant l’eau est belle et le décor est paradisiaque. C’est également un laps de temps suffisant pour tirer un enseignement évident : ne pas marcher pieds nus dans l’eau, sur le corail, cette matière pénètre fort bien la peau après quoi elle se casse pour mieux rester dans la chair… Oui, je sais ce que vous vous dites, mais c’est pas dans les eaux noirmoutrines qu’on apprend les coraux.

Puis nous nous rejoignons tous les quatre dans un petit snack où le capitaine invite tout l’équipage, comme à chaque escale. Ce petit geste est à chaque fois appréciable, nous nous délectons de thon cru au lait de coco et d’espadon grillé face à ce cadre de rêve…








l'eau est à 32°...

 

13h30, on quitte déjà le mouillage pour reprendre la passe. Prochain et dernier arrêt, Papeete, dans 240 milles. Nous regardons s’éloigner Fakarava en étant assis cote à cote sur la dernière marche du flotteur tribord, les jambes à la traine massées par le mouvement de l’eau. Nous sommes rêveurs, voilà quelques jours qu’on ne pense plus qu’à l’Althéa qui attend notre retour à Fatu Hiva. Celui là ou un autre, qu’importe, quel que soit l’engin flottant à voile, c’est la meilleure des choses qui pourraient nous arriver pour sillonner la Polynésie.


20/04, réveil étrange… Des paquets d’eau rentrent par les hublots ouverts de notre chambre et de notre salle de bain. Les mouvements de houle semblent très amplifiés et fort, quand les vagues frappent contre notre coque, les secousses sont telles que notre bordel tombe en vrac des étagères. Il semblerait que les éléments se réveillent enfin. J’envergue ma tenue de touriste et apparait dans le cockpit, je suis instantanément balayé par deux crêtes de houle coup sur coup. Trempé et bien réveillé me voilà dans le jus, je désespérais de revoir un jour une mer formée! Le soleil brille de tout son éclat, se reflète sur la mer bouillonnante blanche d’écume au sommet de chaque vague et renvoie une lumière blafarde, filtrée par les embruns. La houle d’environ 4 mètres, de sud est, nous aborde en balayant systématiquement la surface du bateau en recouvrant les fenêtres du carré. A l’intérieur c’est Bagdad, tout vole à chaque secousse dans un joyeux vacarme. Le vent ne correspond pas à cette houle très serrée et formée, il s’est levé en moins de 10 minutes me dit on pour atteindre 27 nds. C’est déjà un score que l’anémomètre n’avait plus affiché depuis longtemps mais cela ne suffit pas à lever et désordonner la mer à ce point. Il a certainement du se passer un épisode costaud, là bas au sud est et nous en recevons les restes. Deb apparait à son tour et nous contemplons à l’abri sous des tenues plus appropriées ce spectacle qui fait monter en nous en sentiment d’excitation qu’on avait presque oublié! Enfin nous naviguons… me semblait-il, car je n’avais pas pris le temps encore de lever le nez pour voir l’option de voilure qu’avait choisit le capitaine… RIEN, NEANT, à sec de toile!!! Le vacarme des vagues couvre le bruit des deux moteurs en fonctionnement. TRAHISON! On ne navigue pas! Le vent nous offre enfin une chance de se faire plaisir à la voile pour les derniers milles et on ne la saisit pas pour d’obscures raisons de sécurité…. Rrrahhh, enfer putride et damnation! Il faut croire qu’Eole nous observait et a bien vu la manière dont nous avons ignoré son présent car en moins d’une heure nous passons à 17 nds et l’heure suivante nous retrouvons nos 6 nds de routine qui décrispent notre capitaine et lui rendent son sourire. A 6 nds nous sommes encore au moteur, pas assez de vent…  Puis finalement la houle s’allonge petit à petit et tout rentre dans « l’ordre ». Amos nous annonce alors effrontément qu’il a prié dieu de lui offrir les 100 derniers milles dans la sérénité. Comment se fait-il que si entité supérieure il y a (j’en doute), elle soit de son coté?




Le matin du 21 nous franchissons la passe du lagon dans lequel se trouve la marina Taina, la fin de notre voyage à bord de ce bateau n’a jamais été aussi proche! On nous promet de ne pas nous laisser partir comme ça, 3 jours de larbinage nous attendent, on nous demande d’astiquer toutes les salles de bain du bateau et de faire la blanchisserie pout tout le monde, ben voyons! Nous occupons ces 3 jours à nettoyer ce qui nous semble être notre part du travail en bâclant bien certains passages, nous laissons de coté la blanchisserie et le larbinage intensif pendant que ces messieurs partent en excursion…  Amos pousse le bouchon très loin, ça coince, il nous donne finalement les malheureux $ promit et nous quittons avec plaisir son bord au matin du 25… Dernière demande de sa part : nous devrons revenir d’ici deux semaines pour faire son carénage, mais attention, comme nous avons débarqué nous n’aurons plus le droit de rentrer dans le bateau… cours toujours… Il ne doute de rien!


Parallèlement nous avons trouvé un boulot, il commence dans une semaine, un CDI sous la loi des îles vierges britannique, en tant qu’équipage modèle sur un voilier de luxe gigantesque… Défrayés et payés, nous allons naviguer en Polynésie et peut être jusqu’à Hawaii, un plan idéal pour se refaire en quelques mois… Mais cependant la joie ne nous envahie pas… Nous avons très peur du niveau de domestication que l’on risque de nous demander, déjà au point de vue vestimentaire et apparence, et ensuite l’idée d’être à la disposition permanente de gens fortunés, si sympathiques soient ils, nous rebute. Et pourtant la voix de la sagesse nous commanderait bien de foncer, histoire de former un petit pécule pour la remise en état du bateau abandonné qui voudra bien nous adopter… L’embauche officielle est le 1er mai, drôle de symbole… On se donne quelques jours de réflexion supplémentaire, en prenant bien en compte que du travail, ici, c’est pas gagné… Envoyez votre avis au 88333, pour oui, tapez 1, non, tapez 2! 88333 (5 443 $/minute)





mercredi 23 avril 2014

Expériences humaines sur le Pacifique


Je crois qu’il est bon de commencer par une petite note, préface ou avertissement, peu importe. Ceux qui aurons suivis nos aventures sur ce bateau depuis le Panama doivent bien se douter de quoi il s’agit, la réponse est contenue dans le titre comme dirait Coluche. Alors voilà le récit de la grande traversée, mais pas que! C’est aussi finalement le récit d’une expérience de cohabitation très spéciale que nous n’avons su laisser de côté. Au fil des milles nous avons appris de nous, de notre incapacité de communication face à des situations humaines que je qualifierais de toxiques, une incompréhension permanente qui nous à retranchés dans nos bassesses, le commérage et la médisance, préférant se livrer à la domestication qu’au soulèvement. Nous ne nous en sentons pas grandis, le sentiment d’avoir raté quelque chose sur le plan relationnel est très fort. Le camp adverse, si je puis me permettre l’expression, s’est révélé être d’une bassesse au moins égale à la notre, usant de stratagèmes et de ruses perfidiennes visant au moindre effort, faisant part d’une vanité qui frôlait le fanatisme, et entremêlant ses stratégies de navigation dans la contradiction, au point de nous tirer des fois des rires, des fois des larmes… Ces instants douloureux ont été inscrits à chaud dans ce journal de bord, ils seront facilement identifiables. Après réflexion nous décidons de les y laisser quand même, c’est un travers sans lequel ce voyage aurait été bien différent, ils ont donc toute leur place ici.

Rassurez vous, nous avons osé en douté un moment, mais non, ils n’auront pas réussi à nous dégouter de la voile. La proximité avec les éléments et la pratique de la navigation auront été notre cachette, ces moments privilégiés nous ont permis de reprendre pied quand on en avait le plus besoin. On vient de se faire une bonne partie du Pacifique quand même, merde, on est super fiers de nous sur le plan navigation, et on ne demande qu’à renquiller! Tout en étant conscient que venons de terminer la dernière grande traversée de ce voyage, c’est un peu le cœur gros que j’écris cela mais on n’a pas dit notre dernier mot, des projets futurs prennent forme, en premier lieu, une abyssale envie de revanche sur le golfe de Gascogne, ou encore terminer le tour du globe déjà entamé avec un détour par les canaux de Patagonie et le cap Horn…

Pour l’heure il est temps de remiser nos tenues de quart, nous avons toute la Polynésie devant nous, les terres de Déborah…

Allez, je vous laisse à la lecture, je vous en ai mis une bonne couche! La lumière décline, les rideaux s’ouvrent…


19/03, San Cristobal, Galapagos.

Amos est rentré hier en fin d’après midi d’Israël, nous sommes contents de le revoir. Il apporte avec lui sa bonne humeur et nous soustrait un peu à la compagnie de Ran qui devenait pesante. Mais surtout, son retour annonce le départ tant attendu!!!


***

L’agent nous rendra nos passeports tamponnés pour le large à 15h. Le bateau est prêt, plus que prêt. On attend, l’impatience monte… Chacun gagne sa chambre, tentative de sieste pour tuer le temps. Et enfin le bruit du moteur du petit bateau taxi se rapproche portant avec lui Olivar (l’agent) et nos 4 précieuses reliques. Nous émergeons, Amos gueule de joie depuis le cockpit « OK everyone ,let’s go! ». Branle bas de combat, tous à nos postes, le moteur démarre au quart de tour, les 60 mètres de chaine sont avalés par le guindeau, laissant pendre l’ancre vaseuse de 17 jours d’immersion. Moins d’un quart d’heure après le réveil le petit mouillage de San Cristobal s’éloigne déjà, partout devant, le Pacifique.

Une raie gigantesque s’envole juste devant nous et manque d’atterrir sur le trampoline, à l’étrave… Vent 15 Nds, NO, nous filons à 8 nœuds, le logiciel de routage affiche 2980 milles jusqu’à Fatu Hiva… en ligne droite. Nous en ferons donc bien plus. Le vent retombe en passant entre les îles Santa Maria, Santa Cruz et Isabella, laissant place à un coucher de soleil sublime. Nous traversons un banc de raies nageant à fleur d’eau, des bestioles qui doivent bien taper dans les 2 mètres d’envergures, ventre blanc, dessus noir, Manta???





***

Pétole totale, moteur, les voiles ont été affalées en début de nuit. J’ai pris le quart d’Amos en plus du mien, il tombe de fatigue avec le décalage horaire de son récent voyage. C’est la nuit, mer d’huile, pleine lune, quelques dauphins (genre la jaquette du film « le grand bleu »), 4h30 de petits bonheurs!


La zone de convergence s’étire loin à travers le Pacifique selon les fichiers météo. Une fois passé Santa Maria je pique au Sud Ouest comme convenu, les vents sont plus bas, pas la folie mais un petit 15 Nds SE qui devraient nous porter au grand largue un bon moment, les alizés du Pacifique.



20/03


Au matin c’est la surprise, Amos n’en revient pas, il n’avait jamais vu ça avant, un banc de bonites file le long du flotteur tribord et saute, comme des dauphins. Il est tentant d’en choper un spécimen pour se le mettre cru sous la dent. Mais le spectacle est tellement beau et rare que nous préférons les observer, de vraies torpilles aux couleurs vives, jaunes et violet réfléchissant. Deb, Amos et moi restons cons devant ces poissons, on en a tellement mangé, c’est la première fois qu’on les voit « vivre ». Ran quant à lui… Ran… 


Ran à d’autres satisfactions dans la vie que de vulgaires bonites. Je passe sur toutes les situations de déception, de honte, de rage que son manque de savoir vivre créer. Nous décelons même un malaise chez Amos vis-à-vis de son compatriote, sa connerie se révèle à chaque instant, dévoilant la personnalité navrante, autoritaire et supérieure du personnage. Et je ne parle pas de religion, dans ce domaine c’est édifiant! L’a la mémoire courte pépère, il faudrait simplement selon lui débarrasser la vermine musulmane de la surface du globe… -me vient une citation que je n’ai jamais oubliée, une parole de Sieur Luc Larboulette, que nous espérons lecteur de ce blog et que nous saluons ainsi que toute sa famille! Voici : « certains meurent de leur propre connerie »- Vous me porterez des oranges si il tombe par-dessus bord?

Je vais tenter de faire en sorte que ce blog reste un récit de voyage et de navigation, ne pas sombrer dans le soulagement d’y balancer ma rancœur envers pépère et sa moite effusion de pensées boueuses et étriquées lui permettant à peine d’apprécier ce voyage. Promis.

Deb finit d’écrire cette journée alors que j’ai posé mon carnet, je suis à l’honneur :
Tom à enfin craqué, son quart terminé il ne peut continuer de regarder les bonites s’ébattre joyeusement ainsi autour du bateau, depuis près de 4 heures que ça dure! Sa motivation est floue et diverse, marre du poulet, plaisir de pêcher ou impossibilité de voir des poissons frétiller partout sans en prendre? Il s’est empressé d’aller chercher son kit de pêche et de monter une improbable ligne de fortune. Atelier montage terminé, ça ressemble à une canne à pêche, composée d’une gaffe guidant la bobine de fil et, noué à son extrémité, un trident plombé décoré d’une plume de mitraillette sacrifiée pour l’occasion.
Tom reprend furtivement l’antenne au bout d’une heure :
Cons de poissons! ‘cassé le cul pour rien…

Conclusion : ce soir on mange encore du poulet, à vous les studios, à vous Cajard!



22/03

Après tout ça fait partie du voyage… Je sais j’avais promis mais je ne peux pas faire l’impasse sur tout, il est bon de planter le décor afin que vous cerniez mieux nos deux acolytes si ce n’est pas déjà fait. C’est en quelque sorte le festival de la bêtise, un petit florilège qui s’offre à nous.

 Ou alors le problème vient de nous, on ne peut pas s’adapter à tous les styles de cohabitation… Probable aussi. Mais ce n’est pas la seule tare qui nous guète, il en est une bien pire. Nous venons de terminer la lecture de germinal, Maheud aurait dit de nous que nous sommes des jean-foutre, ceux qui acquiescent en se promettant de se rebeller la prochaine fois, C’EST NOUS!!! On laisse filer, connement, comme d’hab’.

Qu’ils sont dociles les deux français de compagnie à leurs pépères. Ou plus exactement les deux pauvres de compagnie. J’en suis arrivé à cette conclusion un soir après manger ou on racontait nos aventures dans la forêt de Shelter et nos projets de voyages à moindre cout, Amos l’a dit : « finalement je suis un ange pour vous », sous entendu de nous sortir de notre misère et nous offrir une navigation de luxe…  Voilà le genre de suffisance à laquelle il faut faire face. Et tous les jours des petites piqures de rappel, nous devons reconnaissance à notre capitaine, à ce « bateau 5 étoiles après lequel il sera difficile pour nous de rembarquer sur un autre tellement son équipement est onéreux et dernier cri » dixit son propriétaire. Tout a un prix à bord et il ne se lasse pas d’énumérer combien chaque objet lui a couté, jusqu'à la cocotte minute « very Professional » dont nous avons reçu une formation pour son utilisation. Nous autres pauvres ne pouvions nous douter de l’existence d’un tel ustensile de cuisine!

Le vice à repoussé les frontières lors de notre dernière soirée aux Galapagos. Flash back, Amos en rentrant d’Israël nous a ramener une autre française de compagnie qu’il nous présenté comme un cadeau qu’il nous faisait, la compagnie de Morgane pour une soirée… Il l’a rencontré en escale en Equateur et l’a prise sous son aile, en bon samaritain, en lui faisant tenir promesse : « je t’invite sur mon bateau, mais attention, tu va rencontrer mes amis (de compagnie) français et tu va passer la nuit sur un catamaran incroyable, bourré d’options, duquel tu ne voudra plus descendre, alors tu dois promettre de quitter le bord demain car nous prendrons le large. » Et toute la soirée il lui rappelé « hein qu’il est beau mon bateau?  Hein que t’a envie de rester? Mais demain tu devras nous quitter, malgré la douleur, tu as promis! » Regards inquiets de Morgane, nous avons honte de notre capitaine.

Ainsi s’enchainent les milles, récits de bonnes actions en guise de bénédicités, quand ils donnent de l’argent aux associations de pauvres et blablabla… Que c’est beau de pouvoir s’acheter une bonne conduite quand on a les moyens. Eux qui ne sont pas foutus de faire une vaisselle correctement ou qui sont capable de te décrocher et de laisser en boule une fringue qui séchait pour en récupérer les 2 épingles pour leurs propre usage. Par flemme? Ou par habitude d’être assisté? Et on rentre dans leur jeu à fond, on préfère de loin se taper la bouffe, la vaisselle et l’entretien plutôt que d’assister au massacre et de repasser derrière… On est cons, hein?

Dire que chez nous c’est nous les assistés…

23/03

Nous touchons enfin des vents permettant de laisser le moteur de côté. Seul hic, nous sommes au pré, ça souffle du sud ouest, on attendait du sud est. Nous rectifions le routage, cap à l’ouest, direct sur les Marquises, il est décidé que nous sommes suffisamment au sud comme ça.

Le pré est beaucoup digeste en catamaran, à la place de la gite on se contentera d’une bonne dérive avec un angle allant parfois jusqu’à 50° entre le cap du bateau (le cap compas) et le cap réel, c'est-à-dire qu’on avance de biais, notre cap réel n’est pas dans l’axe du bateau. Les connaisseurs de Capelan comprendront facilement. Cette dérive est valable sur tous les bateaux mais particulièrement ici.  Il manque sur cet engin 2 grandes dérives rétractables comme on peut en trouver sur les Catana ou les catas de sport…


Autre inconvénient, en plus de la sensation de balancier du à l’enfoncement intermittent du flotteur sous le vent avec la houle, les vagues qui arrivent à passer entre les deux flotteurs viennent « soulever » le carré en frappant sévèrement le plateau qui relie les deux coques. Sorte de hoquet parfois violent mais pas pire qu’une bonne gite en mono pourrissant la vie à bord.

Nos quartiers
Le carré

25/03

On alterne entre pré bon plein et vent de travers, il ne veut décidemment pas passer sud est. Qu’en conclure? Maître Jean Ives Bernot à dit « ne jetez pas le météorologue à la poubelle, c’est que quelque chose est en train d’évoluer ».

L’enchainement des nuages depuis ces derniers jours laisse penser à un système dépressionnaire à venir : cirrus puis cirrostratus. Après un petit croquis et sachant que le vent de sud ouest peut annoncer un front chaud dans l’hémisphère nord j’ai envie de penser qu’un vent de nord ouest l’annoncerait dans l’hémisphère sud? Or on a que du vent de sud ouest… Ou peut être qu’à 5° sud de latitude soit 300 milles en dessous de l’équateur ces systèmes ne sont pas encore si bien réglés que sous les tropiques?

Pourtant il suffirait, me diriez-vous, de consulter quelques fichiers météo par satellite via l’ordinateur du bateau. Mais il faut bien reconnaitre que depuis qu’Amos est venu me sortir de mon lit de bon matin avec une tête de gamin fautif et prétextant un problème majeur parce que le bougre d’andouille venait d’injecter du silicone dans son unité centrale pour tenter de fixer un interrupteur défaillant, l’ordinateur ne plus guère de signe de vie… Encore un réveil boueux, ça change des réveils de larbins pour changer la bouteille de gaz…  Bref, je m’égare.

Pour revenir sur la navigation en cata habitable, Amos retient à juste titre notre attention sur le fait qu’un dessalage reviendrait inévitablement à une fin tragique pour le bateau. Il convient donc de bien prendre les ris qui conviennent avant de se faire surprendre. Nous sommes porté par un vent de 15 à 20 Nds, toutes voiles dehors on dépasserait sans difficulté les 10 Nds, peut être jusqu’à 13. Bon c’est vrai que ça lui tirerai sur la gueule à ce navire avec ses 4 tonnes d’extra en GO, flotte et matos. Mais de là à se contenter de ris sur chaque voiles pour un total maximum autorisé de 6,5-7 Nds, ça fait un peu chier, et pour une fois Ran est de notre avis. Est-ce vraiment nécessaire ou est ce encore un surplus de sécurité du à l’anxiété de notre capitaine qui ne dort plus la nuit, inquiet d’un vent de 20 Nds? Difficile de répondre à cette question, pas assez d’expérience en multicoque… On se demande comment réagirait-il si on prenait une dérouillée comme dans le golfe de Gascogne. J’imagine cependant vu son CV qu’il a déjà du voir bien pire. Mais cette anxiété latente le trahi et nous fait nous poser pas mal de questions.

Pas mal d’incompréhensions aussi. Nous trainons déjà du matériel cassé depuis deux jours et on ne répare pas parce que « la mer est mauvaise ». Mouai…

Le lazy jack tribord à cédé, c’est le dispositif qui permet de guider la GV quand on l’affale (il y en a de chaque coté de la voile) et de la maintenir sur la bôme, dans le lazy bag. Il suffirait pour y remédier de grimper au mat jusqu'à la première barre de flèche, environ 4 mètres de haut, pas la mer à boire, afin de rétablir l’ordre. Mais au lieu de cela on laisse les bouts cassé s’emmêler là haut en craignant le bordel pour ranger la voile lors de la prochaine prise de ris.

Le code zéro est remisé de façon discutable également. C’est la voile la plus à l’avant, une sorte de voile de traction en toile fine sans la structure rigide que peut avoir le génois grâce à l’étai. Coup de vent, nous la faisons s’enrouler sur elle-même car elle est astucieusement montée sur enrouleur et lorsque la manœuvre fut terminée, un petit bout de toile continuait à battre au vent, nous l’avions mal enroulée. Deb et moi pensions en rouvrir quelques mètres carré afin de la reprendre correctement mais au lieu de ça Amos s’est soudain prit d’une panique en ordonnant le démontage de toute la voile, le visage trahi par une décomposition d’angoisse… Je rappelle à l’auditoire qu’il y a 20 Nds de vent et 1,5m de houle à tout casser. Donc branle bas de combat, on relâche la drisse, on fait tomber toute la toile sur le trampoline par-dessous lequel les vagues nous trempent jusqu’au slip, on rassemble à l’arrache les écoutes, Deb tente bien d’en faire de beaux paquets lovés mais apparemment on n’a pas le temps, il faut vite tout mettre en vrac par le hublot de la soute à voiles…
Je crois que le code zéro va terminer sa trans-pacifique ici, à moisir en cale, et je ne voudrai pas être celui qui le ressortira car il y aura surement un sac de nœuds à la clé… On ne se fait toutefois pas d’illusions, les larbins c’est nous.

La retenue de bôme est également HS. C’est un bout qui relie l’extrémité de la bôme à un point bien éloigné de celle-ci, ici c’est un taquet d’amarrage qui fait le boulot. Il est démultiplié par un jeu de poulie et fait office de hale bas et évite que la bôme se balance latéralement avec le bateau ou empanne. Pièce défectueuse : une manille cassée. Ils n’ont pas l’air décidé à réparer. Si bien que quand Ran m’a surpris dans l’improvisation d’un substitut de retenue de bôme avec un bout il m’a coupé en plein chantier.

Car Ran est comme ça, il nous reprend sans aucune forme d’explication en marmonnant des ordres d’impatience comme « attends », « tire », « enroule », ce qui en plus d’être très chiant est assez castrateur pour la prise d’initiative… Amos c’est l’inverse, c’est l’usure. Il prend le temps d’expliquer chacun de ses faits et gestes, tant que ça reste dans le domaine du banal, ce qui se révèle être gonflant. Avec près de 6000 milles au compteur on se passerait bien d’un briefing sur l’utilisation d’un winch ou d’un pilote auto, surtout vu le niveau des commentaires, que du basic. Ces commentaires à propos desquels on nous demande une attention maximale ne s’arrêtent hélas pas à la navigation, nous devons donc faire mine de découvrir tous les petits trucs et astuces qu’on nous livre, comme pourquoi il ne faut pas laisser le pain au soleil, ne pas laisser la lumière allumée, et j’en passe… Merci Amos, le feu c’est chaud et l’eau ça mouille! Ces situations virent à la pignonade, Deb ne se gène plus pour entamer un franc fou rire facial en pleine leçon de bon sens. C’est formidable pour moi car on me demande toujours à moi pourquoi elle se bidonne…

Ils doivent bien sentir le malaise entre les quelques moqueries et les coups de gueule, comme hier soir ou Amos m’a saoulé à propos de ma préparation de bonite en darnes. Alors comme ça il parait que la peau et les zones sombres autour de l’arrête centrale sont poison… -alors qu’en fait c’est poisson. Remontrances en chaine car j’aurai du les enlever. Ben voyons, ça vaut le coup de se faire chier à préparer tous les repas et à se coller chaque vaisselle… Nous avons fait une gueule de trois km tout le reste de la soirée…


Si bien qu’aujourd’hui on n’a pas touché une gamelle, sauf pour la vaisselle du soir. Ran a, de son propre chef, exécuté pour le déjeuner son deuxième repas et sa première vaisselle en 15 jours, sa deuxième en 40 jours!!! Amos à prouvé au diner qu’il savait faire autre chose que du réchauffé de conserves et de semoule en se livrant à un pot au feu au poulet! Ran à même rigolé pendant plus d’une minute! On s’extasie devant ces prouesses inattendues en oubliant l’essentiel, cela devrait se produire un jour sur deux dans un embarquement « normal ». Cet effort de leur part ne s’étendra cependant pas au-delà de cette journée.

26/03

Réveil matin, 9h, j’entame mon train-train, monte dans le carré, croise Amos, échange de sourires niais de ceux qui ne savent pas quoi se dire et je pars faire ma tournée dehors. Cela consiste à la récolte de ce que la houle à apporté sur le pont du bateau pendant la nuit et à en faire le tri. Les poissons volants à la baille et les calamars, c’est pour bibi! Bonne pêche ce matin, 7 spécimens d’environ 15cm que j’ajoute une fois vidés au butin des jours précédents. D’ici demain le stock permettra de se faire une tournée de petits calamars apéritifs.

Puis petit dèj et prise de quart à 11h. Rapidement je repère la grosse masse prometteuse sombre qui se rapproche à 8h, ou 240°, enfin babord arrière quoi. Nous ne sommes pas trop gênés par la houle, je laisse le bateau s’élancer jusqu’à 8-9 Nds avec l’espoir de laisser ce grain dans notre sillage sans qu’il nous importune, continuer sa route vers le nord.

Et puis là les deux compères débarquent dans le cockpit, ils viennent de voir le nuage. Ils se ruent sur les winchs pour prendre le fameux ris préventif en m’ignorant superbement. Youhou les gars, c’est moi, je suis de quart! Une fois le ris pris Amos m’explique pourquoi il a diminué la toile, sans blague, je n’avais pas compris. Seulement maintenant on se traine à 5-6 Nds, le nuage doit bien être à 30 bonnes minutes de nous, cette manœuvre trop anticipée me fous en l’air toute ma stratégie, on n’a plus qu’à attendre l’impact…


Ca y est on est dedans, il tombe des cordes, c’est le moment que choisit Amos pour affaler la GV. Héhé, vous vous rappelez, le lazy jack? C’est vrai que c’était trop simple de le réparer avant, comme convenu toute la GV s’est lamentablement étalée sur le roof et le passe-avant en s’affalant, voilà un boulot à la mesure des 2 français de compagnie! Hisser toute la toile (c’est lourd) et tenter de la fixer sur la bôme, le tout en équilibre au dessus du cockpit, sous la pluie. Bon en même temps je râle car cette situation nous pendait au nez mais nous devons bien avouer que nous prenons notre pied là haut sur la bôme, ce sont des moments de galère, des épreuves de force, mais pleins de poésie, au vent, la pluie qui coule sur le visage, ces odeurs mêlées d’embruns et de caoutchoucs, bouts et tissus gorgés de sel. Dans ce bateau trop sécuritaire nous ne goutons pas assez d’épisodes comme celui-ci, ceux là même qui faisaient le « charme » du Mondrian.

La voile est à peu près maintenue, nous nous lançons dans la réparation du lazy jack pendant qu’on y est. Quelques instants plus tard la voile est de nouveau dans son lazy bag, lui-même maintenu par le lazy jack, lui-même relié à la barre de flèche, nous redescendons. Amos nous couvre de gloire mais cette coulée de félicitations glisse sur nous, emportée par l’eau de pluie avant de nous atteindre. On l’a un peu mauvaise.

Une autre remarque termine de nous accabler, il est question du sommeil durement éprouvé du capitaine et de l’utilisation du winch électrique. En effet, il nous signale que le bruit du winch en fonctionnement vient troubler la nuit de monsieur.  Nous sommes donc invités à dériver les écoutes vers les winchs manuels, plus silencieux. C’est effarant, le bateau craque de partout, il est secoué, il reçoit la houle avec fracas, enfin tous les bruits inhérents à la navigation à voile, tous plus forts les uns que les autres, et on nous fait encore chier pour un moteur (électrique) de winch. Vaut mieux rester chez soi si on veut faire de la voile en silence. Pendant ce temps là la bôme continue à se balancer dans un grincement très bruyant, comme si on avait une colonie de corbeaux perchés dessus. Lequel grincement pénible serait facilement résorbable par le truchement de la fameuse retenue de bôme. Deb s’est enfin lancée en demandant ce qu’on attendait pour la remettre en service, réponse à la hauteur : « on s’en passera, il ne faudrait pas l’abîmer maintenant qu’elle est réparée ».

Bon allez, je vous laisse, il est deux heures du matin, l’heure pour moi d’aller réveiller Deb pour lui passer le flambeau en lui signifiant le message que m’a fait passer Amos, à savoir, éviter de prendre des ris la nuit parce que ça le réveille…

Commentaires de Deb à la reprise de son quart :

Il est incroyable, il a les yeux pochés de cernes mais il est trop stressé pour dormir, on le voit sans arrêt la nuit. Un coup c’est parce qu’on chuchote trop fort au changement de quart, un coup en stress parce qu’il y a eu une rafale à 17nds, il faut prendre un ris, un autre coup parce que la houle le brasse trop dans son lit, il faut rectifier le cap de 3° pour atténuer, un énième coup pour remettre un peu plus de génois, à cause du manque de vitesse il est encore brassé dans son lit, d’ailleurs à cette occasion il ne se gène pas pour parler fort et utiliser le winch électrique situé juste au dessus du plumard de Ran, y a pas de soucis… Voilà comment occuper 3 heures de quart…

27/03

Quel jour sommes nous? J’en ai fichtrement aucune espèce d’idée, d’ailleurs si on ne tenait pas à jour ce journal de bord on serai bien incapable de savoir la date… Enfin le fait est qu’aujourd’hui Amos fête ses 60 ans, au milieu du Pacifique le salop, et on nous à donc demandé pour l’occasion un repas de fête un peu plus relevé que d’habitude à prévoir pour le diner. Ran demandera des hamburgers…

La journée avait pourtant commencé mollement, de la pluie et de la grisaille jusqu’au soir, ambiance molle également, ponctuée de coup de gueule justifié de Deb qui s’est vu faire la boniche pendant son quart, quand les compères ont, à leur habitude, pris les rennes de son quart en l’écartant petit à petit du poste de commande en échangeant en hébreux sur les stratégies de navigation… Déjà qu’on ne voit pas bien l’utilité de quarts attitrés en journée, si en plus on ne peut pas les assumer, quelle utilité? Gros point positif de navigation, le vent depuis cette nuit se décale au sud est, se stabilisant enfin dans le rail des alizés.

… Ce qui veut dire qu’il va certainement falloir, d’ici demain, aller repêcher le code zéro qui rancit dans sa grotte…

On s’est afférés comme des fous dans la cuisine tout l’après midi jusqu’au soir, apéro à base de roulés au fromage maison et de calamars à l’armoricaine autour de la dernière bouteille de vin du bord, du blanc. Hamburgers et patates sautées et enfin tarte tatin avec glace vanille. Encore les honneurs! Ca a relevé de niveau de l’ambiance d’au moins 5 points, concluant cette journée plus humainement qu’à l’accoutumée. Ca fait du bien.

28/03

Encore une journée simple sur les plans relationnel et émotionnel. On a ressortit le code zéro, je m’attendais à ce que ça se passe mal… of course!

On en arrive à se demander si Amos à bien le passé de grand navigateur qu’il veut bien se prêter. Trop d’incohérences, à ce stade ce ne sont même plus des détails, disons que si je n’avais pas de respect pour lui je dirai que c’est marin d’eau douce, au sens propre du terme. Il maîtrise la mer plate comme Loeb maîtrise sa voiture, rien à redire, mais dès que ça monte un peu, je dis bien un peu, on est très loin du gros temps, il se crispe d’inquiétudes. Et si je ne le respectais pas du tout, mais alors pas du tout, je vous inviterai à vous procurer son dernier bouquin, the story of le nom du bateau, que Bruno (papa) à déjà repéré sur Amazon. Hop là, ne cliquez pas si vite, n’aller surtout pas l’acheter, c’est un recueil de m’a tu vu, une succession de photos de son bateau sur 100 pages, listant ses ô combien systèmes de navigation dernier cri et hors de prix. Quelques lignes d’écriture viennent terminer le boulot, il est question de la préparation d’un bateau pour un tour du monde, nous tiquons sur un détail qui le caractérise bien : 15 lignes pour la liste de fournitures alimentaires et 2 pages pour la listes de médicaments et soins. Nous en avons un exemplaire, nous essaierons de le rapporter.

Oui. Donc on se pose des questions, encore un magnifique cas de quasi désespoir, un imprévu mettant notre capitaine dans une transe d’épouvante. Et encore, j’ai la prévenance d’employer le mot imprévu. Toujours ce code zéro.

Dès le matin on se met en place pour hisser la bête noire, comme convenu des sacs de nœuds, Ran à la gentillesse de se coller au démêlage des écoutes pendant que je le hisse avec Amos. Mission terminée avec succès, la voile est à nouveau en service. Jusqu'à ce qu’Amos trouve, certainement à juste titre, que le bout de l’enrouleur est un peu juste, il ne permet pas à la voile de faire assez de tours sur elle-même afin que ses écoutes, une fois repliée, s’enroulent en spirales autour d’elle pour la maintenir fermement. 

au premier plan, l'enrouleur de génois (avec étai), derrière
celui du code zéro, la voile s'enroule sur elle même.

NDLR. Petite pause technique à l’attention du lecteur, l’enrouleur. Ce n’est ni plus ni moins qu’une grosse bobine de bout, protégée par un cerclage, ou ici, des barreaux qui en font le tour. Il est fixé à la base de la voile et avale le bout quand on ouvre celle-ci, le faisant s’enrouler autour de la bobine, puis enroule la voile quand on tire sur le bout. Il faut donc faire en sorte pour qu’elle s’enroule d’avantage de lui donner plus de fil sur la bobine. Nous avons déjà fait cette manœuvre plusieurs fois, sur le Mondrian et le God Speed Mary, voile fermée, soit en démontant les écoutes et en les faisant tourner de quelques tours autour de la voile, soit en désolidarisant le bout de l’enrouleur afin de lui rajouter des tours. Mais jamais voile ouverte en faisant faire des tours d’enrouleur à tout le paquet de bout (25m) en forçant entre les barreaux et l’enrouleur.

C’est pourtant la solution qu’à choisit Amos, me demandant de l’aide tant la tâche était pénible. Je me suis exécuté en me disant bien que cette manœuvre semblait cavalière, mais bon, je suis là pour apprendre, je ne vais pas être déçu! Je me permets cependant une petite réflexion que je garde pour moi, on pourrait décrocher l’enrouleur du point d’encrage sur la voile pour lui mettre quelques tours en plus (en ayant pris soin préalablement d’arrimer la voile par ce point et de relâcher un peu sa drisse)…

 En fin d’après midi, après une folle journée de navigation sans encombres à 2-3 nds, il est décidé en haut lieu que, le vent s’étant levé à 13 nds, il fallait rentrer dans l’urgence la plus extrême le code zéro.  Cette décision étant prise naturellement alors que nous sommes au lit et douchés après nos 6 heures de quart. Naturellement toujours, la modification apportée à l’enrouleur à aboutie à un bon gros nœud entraînant l’indisposition au travail de ce dernier. Enfin, depuis notre lit ou le calme revenait, nous perçûmes tel un ours qui frappait sur notre lanterneau, un appel à l’aide de première urgence! Nous accourons donc en petite tenue pour le sauvetage de la voile, ou plutôt du capitaine car la voile n’est absolument pas en danger immédiat, juste bloquée ouverte par 13 nds de vent. Le capitaine en revanche à la tête des grands jours, en pleine épouvante, doux jésus, on va tous y rester, mon dieu mon dieu, vite bâclons tout, affalons la voile, bourrons là comme la dernière fois dans sa soute, vite, plus vite, seigneur… Je me permets quand même de tenter effrontément une réparation simple, désolidariser le bout de l’enrouleur, défaire le nœud, refaire quelques tours et fixer le bout…  A la seconde où j’ai commencé à défaire le nœud, Amos s’est mis à crier comme si je lui arrachais une couille, inconscient que je suis, c’est vrai qu’il y avait danger, ça aurait pu ouvrir la voile! Seulement elle est déjà ouverte en grand… La pression monte, je regarde Déborah qui s’affère à tenter de lover l’écoute avant le stockage, nous transpirons comme deux putes dans une église. Le coup de grâce, enfin, la voile étant affalée, le « danger » éloigné, Amos ne relâche rien et presse tout le monde de se dépêcher, c’est pourtant le bon moment pour soigné le pliage, ce que fait Déborah avec les écoutes. Mais face à l’impatience des compères, Ran ordonnant « give, give, give » et Amos tirant sur le bout qu’elle enroulait en la trainant sur le filet, elle à semé le trouble en leur balançant son travail à la gueule et en partant sans ménager ses mots. Aucuns des deux n’a daigné s’excuser ensuite, Amos n’osant plus la regarder dans les yeux….

29/03


On nous a finalement confié le démêlage et le rétablissement du code zéro, opération effectuée sous l’inspection et en contradiction avec Amos, mais enfin, il est monté et il ronronne!


Chaque soir un festival dans le ciel en feu



Nous profitons de la bouteille de blanc vide pour y glisser un message et un bracelet fait par Deb afin de motiver une future correspondance et la balançons par-dessus bord à cette position : 7°36’S, 112°20’W. Amos trouvant cette idée sympathique nous tend plusieurs de ses cartes de visite que nous faisons mine d’y joindre, elles sont bien parties à l’eau, mais malencontreusement hors de la bouteille… Trop facile!



Mes lunettes de soleil reposent également au fond de cet océan, arrachées de ma tête par une écoute rebelle. Ironie du sort, je pense qu’à 4km de profondeur elles n’auront plus le loisir de filtrer les UV… Je me demande combien de temps la descente à put durer? Et si ça se trouve elles sont tombées sur le museau d’un requin de la mafia? Quelques instants d’oisiveté nous permettent de temps à autre de laisser aller nos esprits à ce genre de questionnements. Pas plus tard que récemment, en balançant mes coques de pistaches à l’eau et évaluant leur vitesse à, disons, 2 mètres/minute, je me suis surpris à m’imaginer leur fabuleux voyage d’une trentaine d’heures vers les profondeurs. Y a de quoi méditer, non?

31/03

Le train-train suit son cours à bord, la routine s’installe. C’est pourtant exactement ce que nous avons toujours tenté d’éviter au maximum, en camion ou en voyage, les horaires réguliers et la redondance des tâches journalières, réglées à la minute avec une précision d’horloger. Mais je dois reconnaitre que la routine à ceci de bien, elle permet de renouveler la besogne jour après jour sans se poser aucune question, le cerveau vierge de toute réflexion superflue, ce qui est finalement plus simple pour se consacrer pleinement au larbinage…

La journée se déroule donc comme suit : réveil, récolte de calamars (qui se font de plus en plus rares), petit déjeuner et prise de quart à 11h pour moi, relevant Amos. Deb se réveil à peu près à cet instant, elle peut donc après son café se consacrer à la confection du déjeuner. Ce qui sort Ran de son lit un peu avant midi, Amos ayant déjà regagné le sien. 13h02, a table! Je me charge ensuite en alternance avec Deb de la vaisselle. 14h, fin de mon quart, Deb prend le relai. C’est l’instant larbinage ou Amos me prépare une liste de choses à réparer, à inspecter, à astiquer,… Des fois je fais du zèle, il n’y a plus de boulot pour le lendemain. 17h sonnent en nous libérant enfin du temps de présence dans la zone de vie commune, nous filons dans nos quartiers sans demander notre reste jusqu'à 19h, ou nous remontons pour préparer le diner qui sera ingurgité à 20h18. Nous assumons la vaisselle du soir et redescendons, je reprends le quart de 11h à 2h suivi de Deb jusqu'à 5h. La routine gagne également les quarts nocturnes car il n’est plus besoin de préciser qu’Amos dort mal et qu’il apparait sans cesse pour rectifier le cap de 2° afin de… on ne sait toujours pas vraiment pourquoi car l’incidence est imperceptible.

Quand à la météo, toujours dans les Alizés de sud est, plus ou moins bien orientés selon les bascules de vents dus aux grains. La houle ne se lève guère au-delà de 2 mètres, et le vent n’a jamais forci au dessus de 20 nœuds depuis le départ. La routine jusque dans la navigation…

Nous assistons impuissants à notre baisse de moral, il suffit de relire notre récit pour s’en convaincre, nous baissons. J’ai tout juste assez d’humour en stock pour citer Desproges : « je baisse, anormalement essoufflé dans certains escaliers trop raides ou dans certaines femmes trop molles, je baisse ». Je crois que ce qui nous navre le plus c’est de réaliser qu’on est en train d’accomplir l’un de nos rêves les plus chers, et que d’autres donneraient cher pour être à notre place. Quelque chose cloche, il va falloir nous reprendre, à ce rythme, même le lecteur va décrocher.

01/04

1er Avril, pas l’ombre d’un poisson, dans tous les sens du terme.

Car il faut bien noter que la seule prise jusque là, pourtant pas glorieuse, est une bonite de 25cm que j’aurais volontiers relâchée si la force de la traine ne lui avait pas arraché la tête, le corps maintenu par  la seule arrête centrale, les tripes à l’air… Même sa dégustation était controversée… Une seule bonite même pas maillée en 13 jours, y a pas de quoi se vanter! Heureusement, le congélateur est plein de poulet, on nous en sort tous les jours, chaque soir, la limite de l’overdose est proche… Nous sommes cependant satisfaits d’avoir trouvé chaque fois un accommodement différent, là ou Amos et Ran se contente d’une recette unique. Ne les accablons pas trop, c’est déjà une preuve de moindre participation!


Deb relève le niveau, en ouvrant le carnet ce matin je trouve son récit de la nuit intitulé « poisson d’avril » : Il est 4h, je suis tranquillement en train de faire mes étirements nocturnes habituels lorsqu’un bruit retentit. Qu’est ce qui se passe, on à touché? Touc touc touc, je regarde, non, c’est un poisson volant qui vient d’atterrir dans le cockpit, sur la banquette. Il se trouve juste au dessus du hublot ouvert de la chambre de Ran, lequel se situe juste au dessus de son lit, et de sa tête. La petite bête s’agite, agonisant la bouche ouverte et me regardant de ses yeux globuleux, les ailes déployées. Moi, bonne âme charitable voyant le gag venir, j’essaie de tenter un sauvetage pour le remettre à flots pendant qu’il est « frais ».  Il faut relever que je n’aime pas du tout manipuler les poissons! Première tentative, à peine je l’ai saisi, paf, il tombe sur le sol, sous la table, ça va être encore moins évident. Je le fais pivoter avec le bout de la lampe afin d’avoir une bonne prise par la queue, le chope, et le laisse retomber à nouveau sur la banquette, à mi chemin de la libération! Recommence, et voilà, éjection réussie par l’endroit le moins évident, à l’arrière entre le bateau et l’annexe, fallait pas le louper! Je suis toute fière de moi, j’ai la main qui sent le poisson! Entre temps la lumière de Ran s’est allumée, d’habitude il a le sommeil facile, c’est étrange. Et le voilà qui déboule, une heure d’avance sur son quart, quand je lui demande s’il n’arrive pas à dormir il me marmonne une réponse en se dirigeant vers la cuisine, préparer son café, rituel de prise de quart… Je lui raconte mon sauvetage et l’aubaine qu’il à de n’avoir pas partagé son lit avec un fretin couvert d’écailles. Il regarde alors sa montre et disparait dans ses quartiers sans piper mot… En repensant à cet épisode plus tard je percute enfin, amusée :  le frétillement du poisson à fait un bruit similaire au signal du changement de quart, quand je frappe à sa porte lors des oublis de réveil, déclenchant ainsi machinalement son train-train matinal. Je m’aperçois également que je viens de relâcher un poisson volant d’une taille raisonnable (ils sont très petits pour l’instant dans le Pacifique), Tom en aurait bien fait son affaire, il va surement m’en vouloir. Mais il aurait fallu le tuer et le vider, ça aurait été une autre histoire…

02/04

Ah, l’écriture et les quarts de nuit… Je commence tout de suite par un étonnement alors que je viens de radouber ma garde robe et d’enverguer une polaire (ces termes succulents sont de Joshua Slocum), le thermomètre affichant 27,3°… Je crains fort que nous ayons pris le pli de ces latitudes et qu’un retour précipité vers l’Europe ne nous soit fatal. Tant mieux, c’est pas l’heure!

Les Marquises se rapprochent doucement, encore 1243 milles. Une option sur le GPS que je viens de consulter me donne à réfléchir depuis un moment. Il s’agit de l’affichage du jour et de l’heure d’arrivée prévue, gadget qui selon moi n’a rien à faire sur un bateau (enfin je crois, quelle utilité?), d’autant que cela fait 4 jours que le compteur affiche 11 jours restants. Le savant calcul qui se cache derrière le résultat est directement fonction de la vitesse instantanée, si bien que dans la même minute l’arrivée est prévue tantôt dans 14 jours, tantôt dans 9 jours, selon que l’on monte ou que l’on descende la vague. Et c’est avec un certain amusement que nous voyons Amos, les yeux rivés sur l’affichage, montrant à intervalle sa joie ou son impatience avec le même rythme que la houle ou les sautes de vent.  Marc, sur le Fleur de Lotus, se prenait également de passion pour cette option qui pourtant le trahissait systématiquement. C’est aussi con que si les concurrents du Vendée Globe aussitôt après le départ de l’épreuve se servaient de ça pour savoir leur date d’arrivée et prétendre à une victoire…

L’équipage est plus que jamais divisé en deux parties,  ne se mélangeant que pour partager les repas. Voilà quelques jours que nous n’avons engagé de conversations autres que celles de surface visant à rapprocher le pot de sel ou à donner son avis sur la température des spaghettis que l’on tient au bout de sa fourchette. En d’autres termes, les échanges sont nuls! De notre coté, même si on en avait le cœur, nous ne saurions pas quoi leur dire, et de leur coté, cœur ou pas, ils n’ont pas l’air de savoir comment amorcer la conversation non plus. Amos se mouille pourtant quelques fois en lançant à la cantonade des affirmations à base de « moi je » qui, hélas, ne créent pas l’étincelle… Je cite : « quand j’étais plus jeune j’étais ceinture noire de karaté » ou encore « avant j’étais instructeur de tir à l’arme à feu ». Nous lui rendons quand même un « hum » ou un « ah » histoire de ne pas le décourager. Amos est comme ça, c’est en lui, il aime se lancer des fleurs mais ne s’intéresse guère au botaniste. Je dois toutefois reconnaitre qu’il essaie de ne pas nous perdre définitivement, il est au moins aussi mauvais que moi pour le dialogue de « reconstruction », mais il essaie, alors que nous nous enfonçons dans un mutisme peu glorieux en entretenant une saturation du personnage. Deb est encore plus atteinte que moi, au bord de l’asphyxie; il y a pourtant dans l’air le vent d’une possible récupération mais je m’en sens à peine la force. En fait, de nous 4, c’est Ran qui créer la surprise, personnage avec qui ça avait pourtant mal commencé mais avec lequel nous parvenons à des semblant de discutions. Celles-ci naissent quotidiennement lorsqu’on se croise tous les trois, avant de faire à manger, c'est-à-dire vers 18h14 dans notre planning routinier, et s’éteignent au bout des quelques minutes, soufflées par notre manque d’ambition commun. A croire qu’il est plus facile de trouver du bon chez celui que l’on a d’abord détesté que de rendre de la crédibilité à celui qui nous à déçu. Ou alors est-ce là l’effet de l’attendrissement depuis que l’on a su que les cicatrices qui lacèrent et déforment son ventre sont le fruit d’une rafale de tir ennemi alors que papy était encore réserviste pour l’armée israélienne? Et que c’est cet épisode sombre qui l’a poussé à s’intéressé à la voile plutôt qu’a l’uniforme.

Quoi qu’il en soit le résultat est là et il n’est pas du tout encouragent, il décline! L’échec humain est assez douloureux, ligne après ligne je dépeins les erreurs et aberrations constatées mais il faut bien rappeler que l’équipage compte 4 personnes, toutes aussi butées les unes que les autres. En attendant qu’il nous pousse des ailes de rétablisseurs de torts, la solution la plus agréable serait d’avoir un Siméon avec nous, le beau parleur qui unie les âmes!


Alors si je ne suis pas capable et si je n’ai pas la force de tenter la réunification Israélo-vendéenne (merci Yannick) pendant mes heures d’astreintes, je me venge en passant le reste du temps à mâchouiller mon crayon, assis en tailleur sur mon lit, pour écrire ou peaufiner des aménagements de véhicules habitables, gribouillant sans cesse de petits mécanismes audacieux qui me font entrer dans des transes d’autiste… Ronan, tiens toi prêt, lors de nos retrouvailles une nuit complète de débriefing aux plantes médicinales sera nécessaire afin d’unir à nouveau nos ondes cérébrales autour de projets en fer!!!


03/04

La roue tourne. Réveil tardif, j’apparais sur le pont à 11h, pour ma prise quart. Amos m’annonce qu’il à enfin attrapé un poisson au petit matin, une daurade coryphène! En ouvrant le frigo je découvre la bête, 34 malheureux centimètres, toute chétive, un menu fretin que j’aurai surement relâché, mais maintenant qu’il est raide… Ma consternation redouble en constatant que le poisson n’est pas vidé, Amos m’attendais  justement pour me confier la tâche… Ah? C’est trop d’honneur! Ma tentation est grande d’en faire une glace au carpidon…

***

Ah l’écriture et les quarts de nuit disais-je… C’est comme Capri, c’est fini! On a jugé que je ne prêtais pas assez d’attention à la navigation lorsque je me livrai à l’écriture au clair de lune. Cela mérite à peine d’être relaté tant cet épisode est banal, mais comme il est le fruit d’une première dispute, j’va vous l'conter! 2h du matin, nous progressons dans le noir, grand silence à bord, je suis en train d’écrire… Amos s’inquiète soudain à la vision de son anémomètre de chevet, sort de son lit et me saute à la gorge, le vent est à 17 nds, il faut prendre un ris, je suis inconscient. Ce à quoi je réponds qu’il lui suffit de lever le nez pour constater que le ris est déjà pris, je ne l’ai pas attendu, et que, merci, mais voilà 3 heures que je suis de quart, j’ai bien noté l’évolution du vent, je ne suis pas du tout pris de court, qu’il peut dormir tranquille. Et le voilà qui revient à la charge, me rappelant qu’en 7 minutes nous pouvons heurter un cargo, la veille doit être méticuleuse et non partagée avec l’écriture. Il m’avoue qu’il ne se sent pas en sécurité dans ces conditions… C’en est trop, il m’enrage, j’éclate! Je lui balance ses excès de sécurité, son histoire bidon des 7 minutes, et que s’il ne dort pas parce que je ne lui procure pas la sensation de sécurité qu’il attend, il peut prendre mon quart, je dormirai bien, moi! Sans déconner, on a des alarmes en pagaille, anticollision, radar, lequel capte un bateau jusqu’à 48 milles, même si nous n’utilisons que la résolution à 12 milles, on a largement le temps d’esquiver, bien plus de 7 minutes. Faites ce que je dis, pas ce que je fais, lui qui occupe son quart matinal à la fabrication du pain et à la lecture. Je ne dis pas que c’est dangereux, à mon humble avis on peut s’oublier à la lecture ou d’autres activités lorsqu’on navigue en plein océan, tant qu’on est à l’écoute du bateau et de la navigation. Le ponpon, que je me permets de lui rappeler au passage, c’est qu’à ma prise de quart j’ai trouvé un capitaine entre deux eaux, les yeux bien clos. J’ai commencé mon quart en le laissant à coté de moi, c’est au bout de quelques minutes, lorsque j’ai allumé la lumière qu’il à émergé… Mais il continue à nier qu’il dormait… Alors même si l’échange à été vif, il n’en reste pas moins capitaine, je m’exécute et repose ma plume en broyant du noir.


Le projet initial est lourdement remis en question de notre côté. Je rappelle que nous nous étions engagé à rester à bord jusqu’à Tahiti, alors qu’on nous avait vendu une croisière de rêve avec escales aux marquises, Tuamotu, Bora Bora, et enfin Papeete. Seulement le programme évolue, nous n’irons pas à Nuku Hiva (l’île des Marquises ou Deb à vécu 2 ans) car un fait divers vieux de 6 ans inquiète nos hôtes, il y est question de cannibalisme. Nous en rigolons mais ils craignent que cela ne soit une tradition… Navrant… L’autre fait est qu’Amos soit rentré en Israël, nous perdons une semaine sur le planning. Je ne me permets pas de critiquer la raison de cette absence, cas de force majeur, mais Ran ayant déjà réservé son avion pour son retour le 23 à Tahiti, nous mettons une croix sur Bora Bora et peut être aussi sur les Tuamotu. Depuis le départ nous avions prévu une fois à Papeete de retourner sur nos pas vers les Marquises, ce qui fait que ce voyage devient un convoyage plus qu’une croisière, la seule escale prévue est à Fatu hiva, pour quelques jours d’entretien de bateau et d’avitaillement. Nous voyons d’ici le larbinage qui se profile! Pour résumer, si on va jusqu’au bout c’est uniquement pour rendre service à Amos, alors pourquoi ne pas s’épargner un aller retour et descendre aux Marquises? L’idée mûrit!

Amos se lance dans la grande cuisine en nous dévoilant les secrets
de son poulet cuit dans un sac en plastique au four...

05/04

C’est le grand jour, nous ne sommes plus qu’a 700 milles de notre première (et dernière?) escale. Journée maussade, Deb à des humeurs sombres, l’orage se dévoile à travers ses yeux noirs laissant échapper quelques averses quand son baromètre interne décline. De mon côté, je m’évade en me perdant dans un rêve : faire deux tours morts et une demie clé sur cet embarquement le temps d’une journée pour le remplacer par un équipage constitué de la fine fleur de notre entourage. Merde, il faudrait un grand navire car autant que je puisse imaginer, tous les lecteurs de ces lignes en font partie, soit! On serait tous ici, au milieu du Pacifique, baignés dans le soleil et les embruns, écoutant Bob Marley à fond la caisse et dégustant un apéro bien costaud, un bon apéro bien cru qui nous ferait sombrer dans la beauferie, on en viendrait à mélanger chansons paillardes et chansons de marins dans la joie et l’ivresse, et enfin on se jetterait tous à la baille après avoir mis en panne…

 Nos deux états sont critiques, il est temps, nous nous décidons enfin de remédier à notre travers en éclairant Amos sur notre projet d’abandon. Le pauvre, je m’attendais bien à le décevoir, il ne voit rien venir et ne semble même pas remarquer notre manque d’enthousiasme progressant… Il tombe de son propre sus lorsque je lui laisse le choix entre se trouver un autre équipage aux Marquises ou assumer le fait que nous convoyons son bateau et que nous larbinons, en nous versant un salaire… Nous lui livrons les multiples raisons qui nous poussent à cela, et nous le laissons dans le silence nocturne de son quart, seul, s’aiguiser le cerveau pour trouver une solution.

Et de solution il n’y en a qu’une, en le retrouvant pour la relève deux heures après, il me propose de prendre en charge la nourriture qu’il nous reste à lui verser plus celle à venir et enfin de nous verser 300$ à l’arrivée. Cela va chercher en tout dans les 800$. Disons que si l’histoire se déroulait dans la banlieue de Maubeuge, on aurait trouvé ce geste un peu léger, mais considérant qu’on est en train de traverser le Pacifique, on ne peut quand même pas en demander trop. Je lui notifie que nous apprécions beaucoup son geste et la considération de notre malaise. Le message est passé très clairement, à tel point que notre routine s’en trouve changée, les tâches sont partagées, Ran à du être invité à mettre du sien, et nos tâches quotidiennes sont annulées…  On est partagé entre la satisfaction et le regret de ne pas avoir ouvert nos gueules avant… On est con, hein?

07/07

Maintenant  que je suis pleinement dévoué à l’observation de la plus stricte obscurité durant mes quarts, je passe 3 longues heures chaque nuit assis devant la barre à roue à voir défiler les milles en espérant croiser un bateau pour avoir un peu de réflexion, et qui sait, un peu d’action? Mais nous croisons seulement un bateau par semaine en moyenne, ce qui est déjà énorme pour un océan comme celui là. Donc je suis avachi derrière cette batterie d’instruments de navigation et mon regard fatigué se perd, hypnotisé par les mouvements circulaires des rayons de la roue… Quand soudain à coup… PAF, en m’appuyant sur la roue, celle-ci ne bouge plus après avoir émit un dernier petit râle, complètement désolidarisée de la tringlerie des safrans. Pas de panique, le pilote mène toujours la danse, et je me dis tout de suite qu’en cas d’urgence, nous disposons de deux moteurs, un dans chaque coque, on peut donc très facilement se diriger en jouant avec. Petit tour d’inspection dans les entrailles du bateau : le bout qui relie la tringlerie à la barre n’est plus tendu, il doit être cassé dans une gaine. Zut, gros chantier en perspective; Youpi, un peu d’action! Il me faut cependant l’agrément du capitaine que je ne tarde pas à réveiller. J’en prends pour mon grade pendant cinq minutes, je me garde de lui faire remarquer que ça ne serait pas arrivé si j’avais été occupé à l’écriture. Quand les remontrances cessent enfin nous pouvons nous atteler à la réparation, le bout est bien cassé dans sa gaine, il va falloir ramper dans les méandres du bateau, se glisser à plat ventre dans la soute pleine de coulées de gasoil, tel un mineur avec sa frontale, craignant le coup de grisou d’une digestion difficile. Quand « j’arrive sur la zone » je suis complètement souillé, c’est très exigu, je constate vite le problème et annonce à Amos la liste des outils qu’il va me falloir : un tournevis. Pif paf pouf, démontage, réparation, changement de bout, remontage, je m’extrais, les avants bras rougis par la fibre de verre sur laquelle je me suis frotté tout ce temps. Nous contemplons le bout cassé une fois la situation rétablie, et je suis finalement déclaré non coupable, le bout étant rongé par l’usure. Pourtant ce bout est en kevlar, on ne manque pas de m’indiquer qu’il s’achète 400$ les 10 mètres (même si j’en doute) et qu’il résiste à une traction de 20 tonnes! La preuve! Enfin je commence à cerner la philosophie de notre capitaine, même si je n’y adhère pas. Il a déjà en stock, outres des bouts de kevlar coupés et épissurés à la bonne longueur pour cette panne précise, les photos de chaque poulie, chaque galet que rencontre ce bout sur sa route afin de pouvoir étudier la source de la panne… Il doit avoir en soute de quoi fabriquer un deuxième bateau comme le sien et un document fait maison avec photos pour chaque détail technique de chaque pièce qui se trouve à bord. Si je me laisse aller à dépeindre l’obsession sécuritaire de ce personnage, j’ai maintenant une profonde admiration pour sa prévoyance.

08/04

Et si je vous parlais un peu de navigation pour changer? Avec tout ça on en oublierait presque que l’histoire se déroule sur un bateau. En même temps, c’est pas avec ce qui se passe dehors que je vais pouvoir vous tenir en haleine pendant un mois!

Ces derniers jours ont vus la GV descendre de ris en ris, pas à cause d’un vent soutenu, au contraire,  pour laisser un peu d’air caresser le génois, le vent se tournant de plus en plus vers l’arrière et cachant le génois derrière la GV. Comme cela ne suffisait pas à garder nos voiles gonflées, nous avons largement dévié notre cap, jusqu'à 60°, avec la perspective de tirer des bords en vent arrière. A notre demande d’affaler la voile pour laisser le génois travailler seul en reprenant notre cap, Amos répond par la négative en nous expliquant que cela mettrai trop de poids vers l’avant, le bateau risquerai un planté d’étrave. Nous échangeons un regard moqueur avec Deb, l’anémomètre plafonnant à 15 nœuds, sans être expert il me semble qu’on a beaucoup de marge. De son côté Ran lance l’idée de mettre en place le gennaker, négatif toujours, au motif que l’on ne peut pas savoir si le vent sera stable. D’une part cela fait 2 semaines qu’il est stable, et d’autre part c’est un peu le principe de la navigation à voile… M’enfin, nous  voilà bien hors route après quelques milles, il faut tirer un bord. Nous ne mettrons que 2 heures à recouper notre trace de routage, après quoi nous revirons de bord immédiatement. Plein d’entrain je questionne le capitaine s’il ne vaut mieux pas tirer des bords plus longs??? Non, c’est mieux d’en tirer pleins de petits afin de ne pas trop s’éloigner du routage… Je ne sais pas si cette stratégie vous rappelle quelque chose? Pour nous elle claque dans l’air, nous remémorant instantanément des heures peu glorieuses de navigation : c’était exactement la manière de naviguer de Philippe dans le golfe de Gascogne, suivre le routage à tout prix, qu’importe le vent et le courant.  Les bords s’avérant rapidement inefficaces en rentabilité, il est finalement décidé de tout affaler et de faire route au moteur.

 Il faudra attendre la navigation de nuit d’avant-hier ou j’ai délibérément et effrontément ajouté au moteur la force de traction offerte par le génois ouvert de toute sa toile. Il bosse extrêmement bien, tenant même gonflé lorsque le vent fait de petites embardées du mauvais côté, nous gagnons 1,5 nœuds, toujours au bon cap. La réussite est telle que je laisse tout en place en me disant qu’il ne serait pas trop difficile d’en assumer les actes. Pas besoin d’en arriver là, le lendemain matin Amos reconnait que l’option était intelligente, ma modestie en prenant un coup au passage. Ah, ça fait du bien  par où ça passe! Voilà maintenant 2 jours que nous conservons cette configuration, moteur coupé on tient les 5 nds, c’est très honorable.

Hélas le vent rechute depuis cet après midi, le gasoil recoule à nouveau dans les circuits pour aider un peu, nous naviguons sur un véritable lac, plus que 380 milles!

10/10

Prises de la dernière chance… Ca a commencé hier, au bruit que l’on avait presque oublié, celui du frein du moulinet qui chante vivement, signalant que le leurre qui nage à une centaine de mètres derrière nous se trouve dans une situation peu enviable, dans la gueule d’un poisson. Et quel poisson! En remontant la ligne nous avons vite compris que l’hameçon n’avait pas fait son travail, mais un poisson saute quand même derrière le leurre, et plus nous remontons ce dernier, plus on aperçoit la bête, jusqu'à 3 mètres derrière le bateau elle suivait encore sa victime. Au début j’ai pensé à un barracuda d’une bonne taille mais je crois qu’Amos et Deb avaient raison, il s’agissait plutôt d’un petit requin, d’environ 1,20m. Celui-ci à filé avant que je n’ai eu le temps de le photographier, ni avant qu’Amos ai la présence d’esprit de lui redonner du fil pour jouer avec lui…

Même fausse prise ce matin, je maudis les hameçons simples. Nous n’avions quasiment aucun raté dans l’Atlantique avec des hameçons en trident. Ceux que nous avons laissent trop de chance au gibier!


 Rebelote, très puissant départ cet après midi, le fil est partit à toute vitesse, j’ai resserré le frein pour ferrer, ça devait pas être le bon mode opératoire car même à fond le frein ne pouvait retenir  le fil, la canne pliée en deux, puis au bout de quelques secondes le crin à naturellement cassé… Damned! Il devait être bien en chair celui là! Cet épisode m’a cependant permis de m’enfoncer un peu plus dans la connerie puisqu’en relevant la canne j’ai formidablement mené le fil jusqu’aux pales de l’éolienne, laquelle faisait si bien son boulot qu’elle à sectionné le crin qui la reliait à ma canne en continuant inlassablement à tourner, avalant et faisant une bobine autour de son rotor avec l’autre extrémité du fil, celui qui traînait toujours dans l’eau. Alors à cet instant seulement est arrivé quelque chose d’extraordinaire! Il faut imaginer la scène, Amos, dans toute sa splendeur face à cette situation, pris d’une panique invraisemblable s’est mit à tourner en rond dans le cockpit, décrivant un cercle d’un mètre de diamètre, portant les mains tantôt vers le ciel, tantôt sur sa tête, criant comme s’il venait de voir un proche assassiné, empêchant ainsi toute concertation sur la décision urgente à prendre et nous couvrant de ses cris, véritables spasmes à la limite des sanglots. Il lui aura fallu de longs instants avant de déclencher le frein de l’éolienne pour que je puisse grimper au mât de celle-ci afin de  la libérer. L’opération s’est finalement très bien déroulée, je retiens qu’une fois en haut du mat j’ai demandé un couteau à Amos, il m’a apporté un couteau à beurre, véridique! En redescendant, notre capitaine a le culot de nous féliciter en déclarant que lui et moi formions une très bonne équipe dans les situations de crise.



A l’heure où j’écris ces lignes nous ne sommes plus qu’à 100 milles de notre escale, nous sommes dans la « phase d’approche », laquelle à commencée il y a 150 milles, elle consiste à un redoublement de vigilance, à une résolution maximale des alarmes et à une veille renforcée…  Nous sommes las d’entendre répéter les nombreux dangers qui nous guettent, las de nous prêter à cette mise en scène théâtrale d’une navigation à hauts risques… Il est temps de descendre du bord pour un long moment d’isolement avant de repartir… L’escale ne durera que 36 heures avant une seconde de même durée, 40 milles plus loin.

Un voilier voisin égaille cette fin de parcours, il s’agit d’un monocoque, voisin de ponton de Shelter Bay, à son bord deux suisses francophones que nous ne tardons pas à  joindre à la VHF. Amos ayant engagé la discussion avant de nos passer le biniou, la termine avec un naturel qui lui est cher, en orientant à son avantage le dialogue vers un comparatif des équipements des deux bateaux, à ce jeu là il gagne forcément, puis enfin, dans un élan de suffisance démesurée,  à tenté de vendre son bouquin (mentionné plus haut) par VHF au milieu du Pacifique…  En raccrochant il ne peut contenir son esprit de grand régatier en remarquant, tous sourires, que nous sommes partis des Galapagos une journée après ce bateau, et que nous arriverons vraisemblablement quelques heures avant. Ce résultat n’est pourtant pas glorieux, je ne m‘en vanterais pas, nous venons de brûler 700 litres de gasoil, notre « adversaire » n’a qu’un réservoir de 60 litres…

11/04

Au réveil l’île de Fatu Hiva se dresse devant nous, très haute, elle se perd dans les nuages, lesquels cachent le soleil et nous arrose d’un petit crachin. Dans quelques petites heures l’ancre plongera, la grande traversée sera terminée…

Epilogue.

Déçus? Sur le plan relationnel c’est évident, mais aussi sur le plan navigation pure; on nous a contraint à une croisière aseptisée, frustrante, au cours de laquelle nous n’avons pas eu souvent l’impression de faire de la « bonne voile » et d’en ressentir les émotions associées. La hantise de l’imprévu a rendu cet embarquement fade. En partant sur ce bateau nous pensions vraiment recevoir une formation de choc, c’était en fait l’aspect le plus motivant; une fois de l’autre côté le bilan laisse à désirer, les deux seules principales leçons techniques retenues sont un nœud de chaise terriblement simple et la mise en place d’un substitut de tangon pour catamaran. Non, objectivement nous n’avons vraiment rien appris de nouveau, ni en météo, ni en navigation, on à simplement appris de nous et du type d’équipage avec lequel on ne voudra plus embarquer. Ceci dit plus les milles défilaient moins nous étions réceptifs aux leçons et commentaires de notre capitaine. 

"tangon" pour cata, le but étant d'écarter la voile de son point
d'écoute.
J’espère ne pas trop vous avoir saoulé, il est vrai que ce blog aura été un défouloir, une soupape pour nous à l’idée que quelqu’un soit témoin de notre aventure. Nous avons eu de nombreux cas de conscience en se demandant s’il était nécessaire et raisonnable de vous livrer toutes ces situations, tantôt grotesques, tantôt douloureuses. D’une part par respect pour nos « partenaires », peut être aussi par respect pour nous même. Et puis merde, comme je l’ai dit au début (elle est froide), cette navigation n’aurai pas été la même sans tout cela, on ne peut donc pas vous laisser ignorer ce qui nous a pris la tête pendant 3000 milles.

Comme on est bien cons, nous allons aller jusqu’au bout de notre engagement, nous prendrons définitivement congé de ce bateau à Tahiti, et je ne vous cache pas que nous avons bien hâte!


En chiffres:  21,c’est la rafale de vent la plus forte observée, 3000 milles, 23 jours, 2 poissons de la honte, 700 litres de GO, 16 paquets de tabac et 8 paquets de blonde (on trouve le réconfort dans ce qu’on peut), 3 livres supers (Germinal de Zola, Le lièvre de Vatanen d’Arto Paassilinna, et surtout Navigateur en solitaire de Joshua SLocum), et enfin un trentaine de poulets morts desquels nous avons pu tirer quotidiennement et jusqu'à écœurement soit une cuisse soit un filet. Je crois qu’Eole à été sensible à ce sacrifice car nous avons largement été épargnés, le Pacifique portant bien son nom.