jeudi 21 mai 2015

Virement de bord

Le retour à Tahiti fut bref. Charles s’est envolé quelques jours plus tard et nous nous sommes retrouvés avec Ronan dans cette grande maison que nous avons aimé mais que nous avons hâte de quitter maintenant. On s’accorde tous les trois sur nos suites de voyages pendant qu’Anna murit sa décision : terminer son année scolaire puis retour en France via le Japon, Ronan n’entend pas quitter la Polynésie comme ça : il est venu pour naviguer, nous lui ferons faire des navigations afin de lui mettre le pied à l’étrier pour un éventuel voyage en bateau stop. Le temps presse, l’argent diminue et à ce stade l’heure n’est plus au travail mais à la réalisation des projets…
Et nous autres???
Notre voyage à Raiatea à porté ses fruits, nous ne sommes pas peu fiers de vous annoncer que l’acquisition d’un frêle esquif est en cours!!!!!
Nul n’aura douté de notre choix du Hunter 356 bien sûr. Oui, nous avons laissé filer le Mélody car l’offre à notre mesure que nous avons proposé au propriétaire du Hunter à été accepté à la grande surprise de tous (broker compris). Nous remercions au passage le couple qui nous cède ce voilier de son geste. Notre achat en quelques mots : le bateau est récent (2002), ca se ressent beaucoup dans les volumes, la carène et l’agencement, le coté américain y est pour quelque chose, les espaces sont prévus pour des gens ventrus. Et oui, c’est un bateau de cow boy, ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle, ils sont adepte du contremoulage, ce qui condamne des parties entières du bateau à l’impossibilité de la moindre visite humaine. Le gréement est sain mais très particulier, pas de pataras, le mât est autoporté par 2 étages de barres de flèches poussantes. On trouve en soute un jeu de voile qui n’a que peu servi en hydranet (les connaisseurs devraient applaudir normalement, l’expert nous dira plus tard qu’on pourra jeter notre jeu de voiles de secours), il est équipé comme un porte avion en ce qui concerne l’électronique de navigation, d’un champ de panneau solaire, et de nombreux plus comme une annexe avec un fond alu, un moteur hors bord Yamaha, un kayak, un équipement de plongée, et j’en passe… Je viens de passer en revue les points positifs, si on les écarte on verra que beaucoup de travail nous attend, apparemment nous devrons refaire une cloison structurelle pourrie, la sellerie, soigner le moteur qui manque manifestement d’amour, et encore tout un tas de choses. Il faut dire que ce bateau à une histoire tout de même, il a subit un tsunami à l’île de Pâques, s’est fait aborder, à réussi malgré de bon dégâts a rejoindre Raiatea (c’est pas tout proche) en subissant du gros vent… Depuis maintenant 5 ans il est inhabité et subit les assauts des moisissures, ses propriétaires ont été contraints à rentrer en France, leur santé ne leur à jamais permit de revenir…

notre Hunter 356 dans l'état


et la version neuf




« Notre proposition est acceptée ». Nous étions donc à Taravao quand la nouvelle est tombée comme un matin de noël tombe sur un enfant : jamais paquet cadeau n’avait été aussi alléchant, l’excitation atteint la zone rouge accompagnée de ce que j’appellerai une sensation « urticante » due à l’attente de la sacro-sainte autorisation de déballage.
A peine de retour à Tahiti qu’il faut déjà organiser un nouveau départ pour Raiatea. Le temps presse, nous ne tardons pas à réserver les billets d’avion tandis que Ronan fait de même pour les Marsquises. Nous ne disposons que de quelques jours, il faut vider la maison au maximum avant  de partir, le reste attendra notre retour dans un bon mois. Chaque jour apporte donc son lot de trajets vers le dépotoir, nous avions emmagasiné énormément de bordel, sans regrets nous le congédions vers sa destination : la destruction. Nous brulons tout ce qui peut l’être dans un gigantesque brasier, tellement chaud qu’il à réussi à faire mettre en feu un cocotier sur pied!!! Enfin nous remettons un peu d’ordre dans notre belle mécanique, la fameuse 205.




Tout est prêt, nous donnons au chat les dernières instructions (c’est lui qui va garder le château cette fois), puis nous nous ruons à bord de l’auto qui nous mènera à l’aéroport. Il est 3h30 du matin, il pleut dru, nous sommes trempés. Anecdote, en déposant notre sac poubelle chez Champion notre pare brise croise le chemin d’une chaine tendue entre 2 cocotiers visant à nous interdire l’accès. L’épaisseur de la coulée d’eau sur la vitre nous masquait l’obstacle… Un curieux spectacle s’est offert à la lueur de nos phares, celui d’un combat à mort entre un essuie glace et une chaine. Tous les coups sont permis, strangulation, broyage d’articulation,... Finalement dans un ridicule râle l’essuie glace à cédé, immédiatement vengé par un sursaut de son moteur qui trancha l’obstacle… Nous tirons immédiatement 2 conclusions : la première est qu’un moteur d’essuie glace est capable d’ouvrir un maillon, la seconde, qu’il nous reste plus de 60km de nuit sous une pluie torrentielle sans essuie glace conducteur… L’arrivée à l’aéroport fut salutaire, Ronan jurait tout le long du trajet à conduire à cheval sur le frein à main pendant que j’essuyais la buée tout en copilotant…
Nos 2 vols se sont succédé, Nous retrouverons notre futur équipier pour la nav retour vers Taravao.




Huahine vue du ciel, quelques nuages l'ont accrochée

le lagon de Tahaa


Vous le voyez? on le survole!!! 

Une escale et une heure de vol plus tard nous atterrissons. Enfin, pas complètement, disons que nous descendons de notre nuage pour en gagner un autre : celui du déballage du cadeau!
L’instant est magique, nous n’avons signé qu’un compromis de vente mais c’est déjà chez nous, c’est déjà notre maison de locomotion à voile.
Notre enthousiasme fait fit des moisissures, de l’odeur, du plafond pendant, des menuiseries pourries. Tout cela n’est que détails dont nous aurons ultérieurement le loisir de nous inquiéter! On ne voit que l’affaire que nous avons faite, la ligne, l’équipement, les volumes, les contremoulages démontables. Nous avions déjà réservé une expertise avec le skipper de notre dernière navigation (cf article précédent), l’étude du bateau à été très poussée, elle s’est étalée sur 3 demi-journées. Bilan : travaux à prévoir principalement sur le moteur, les reprises de cadènes, la menuiserie (dont une cloison structurelle à l’arrière), le vaigrage, la sellerie, le système de mouillage. Nous apprenons que de gros travaux ont été effectués il y a 3 ans par le chantier dont le montant dépasse le prix d’achat…  ils concernent des reprises sur la coque, la quille, le safran, l’enrouleur, la pose d’un sail drive neuf (élément de la chaine cinématique allant de la sortie du moteur à l’hélice) et quelques opérations sur le moteur. Parole de l’expert : « ne tergiversez pas trop, foncez! », de toute façon la décision est prise pour nous : impossible de faire marche arrière, nous avons déjà adopté La Rabasse, nom actuel du voilier.

Le couple de vendeurs nous autorise à investir le bord et à débuter les travaux avant le terme de la transaction, encore un geste sympathique de leur part. L’émotion retombant (à peine) nous prenons la mesure du travail qui nous attend, il faut dépolluer dans un premier temps, ôter ces moisissures, aérer et sortir toute la sellerie, vider les coffres, démonter et virer les bois pourris… Plus nous creusons dans les soutes et les placards plus nous prenons conscience que nous « volons » l’intimité de quelqu’un d’autre, tout est à bord, des vêtements à la vaisselle en passant par la pharmacie et la bibliothèque.  Nous imaginons l’épreuve qu’ont subit les précédents occupants de devoir quitter le navire en laissant tout à bord… On se fait la promesse de redonner toute sa fraicheur à La Rabasse afin de prendre un nouveau départ, de rendre honneur à l’opportunité qu’on nous offre d’avoir un tel bateau. C’est très motivant!



Chaque jour les surfaces sont nettoyées, l’odeur tenace décline doucement. Nous faisons un inventaire du matériel de bord (instruments de navigation, documents, outillage, sécurité,…) et attaquons les travaux, dans la ligne de mire au premier rang : la maudite cloison arrière à remplacer. Son accès est affreusement démotivant, je retrouve cette sensation urticante me poussant à remettre au lendemain. Un peu de bravoure, il faut attaquer, nous passons par les services d’un sympathique menuisier-stratifieur qui va nous aider, nous guider et nous former aux bases de la stratification. Cette cloison étant structurelle on ne sentait pas de réparer à l’estime. Notre « guide » est aussi skipper et un embarquement l’attend d’ici quelques jours, une fois de plus le temps est compté. Nous faisons notre possible, je prépare le terrain au maximum et découpant et ponçant la fibre de verre en combinaison au fond des soutes mais je bute sur un problème de taille : ne surtout pas négliger la qualité du masque à cartouche filtrant les particules… Je maudis mon masque « pas cher », il me faut de la qualité sinon je ne survivrai pas à cette semaine! Le charme des îles s’effondre alors, un bon masque ca se commande, et ca se livre par bateau, ce n’est donc pas disponible avant plusieurs jours, les ponts ne font pas notre affaire…. Damned, on ne sera pas prêt avant la fin de semaine, nous devrons attendre le retour de notre « guide », dans 10 jours. Première défaite…

la cloison structurelle, champipi...

Ces week-ends à rallonge sont pourtant l’occasion de se divertir. Bien que peu intéressé par toute autre forme de divertissement que notre nouveau joujou, nous cédons à l’invitation de loulou (cf article précédent) : un tour de Raiatea sur 2 jours à bord de ce Mélody qui nous a tant plu. La navigation majoritairement lagonnaire s’est déroulée intégralement au moteur, le vent nous a fait défaut, invitant la pluie… 





Ce fut un très bon moment quand même, quelques mouillages paradisiaques en souvenir, ainsi qu’une situation difficile à qualifier (pittoresque?), celle ou j’ai fait se rencontrer deux éléments qui ne devait pas : la quille et le corail. Loulou à eu la sage parole : un bateau c’est très solide. Effectivement, pas de dégats plus méchants que des rayures… Je suis quand même très honteux de cette faute d’étourdissement, nous participerons donc au prochain carénage.

Le cheminement de notre cher chantier suit un rythme correct, pour l’heure pas encore de grosses réparation, plutôt des diagnostics et un super nettoyage de tout ce qui se trouve à bord, rondement mené par Deb!!!


pour accéder aux coulisses de la machine...

... il faut souvent prendre des positions à la con!


Et des tenues à la con, par 35 degrés!

la chaine de mouillage avant : un bloc de rouille

après, on a réussi à en sauvé un petit bout...

La suite très bientôt, nous remercions nos 2 mômans pour leurs assistances avec les services français et leurs médiations auprès de nos banques, les fameux virements... de bord, particulièrement celle de Deb qui n’a pas hésité à creusé dans son budget et à faire plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre au saint siège de l’établissement bancaire afin de prêcher notre bonne parole…

Et merci à tous ceux qui ne croient pas dans l’échec de cette douce folie, une page se tourne, le voyage est mort, vive le voyage!