jeudi 26 mars 2015

depression tropicale



Vie d’une dépression

1-
Calme avant la chute barométrique. Le soleil est égal à lui-même, il réchauffe l’air plus que de raison pour affronter correctement une journée de travail. Le moral est quelconque, pas mauvais, la routine se charge de le maintenir au dessus de la ligne de flottaison, nous vivons au rythme local, les jours se succèdent et se ressemblent. Enfin, presque! Ronan s’est pris des vacances, emboitant le pas de sa femme à la rentrée scolaire, il s’est envolé pour les Marquises.

2-
Sans prévenir le baromètre décline, même Ait Tahiti Nui ne l’avait pas  calculé, l’avion de nos amis fait des ronds au dessus des Marquises, malgré la tentative d’approche, la météo ne permet pas un atterrissage à Hiva Oa… Escale forcée à Nuku Hiva puis rapatriement à Tahiti… Le second départ sera le bon, trois jours plus tard…
Trois,  c’est aussi l’effectif opérationnel des troupes. Nous partageons le chantier et la cohabitation avec ce bon vieux Charles, dérangé par un mystérieux mal de ventre depuis plus de 2 mois.

le chantier suit doucement son cours

finitions de peinture



 

 

blocage du dos, intervention d'ostéo sur place

Nous sommes invités par  Yvan à la fête de l’école de sa fille, Alyzée, qui doit interpréter son orero devant toutes les écoles de la presqu’île. L’orero est une tradition polynésienne, sorte de performance théâtrale de narration en tahitien. Un orero dure ici environ 5 minutes, l’interprète déambule fièrement en costume en invoquant la fierté de ses ancêtres et de ses origines, la fierté de son île, de sa vague mythique de Teahupoo, remercie la terre de sa fertilité, et le peuple de ses coutumes. Il s’agit d’une rencontre d’écoles primaires, les gamins sont très jeunes mais je vous jure qu’on est resté cons  devant  la performance, la puissance des orateurs et les interprétations sont sidérantes, chapeau bas!










3-
Arrivée du front chaud. Les nuages descendent de la montagne, vent, gouttes, le régime d’averses s’installe. La fête se termine sous la pluie, le jury délibère, sont notés la qualité de l’interprétation, le sujet choisit et le costume. Alyzée représente son école, ca ne rigole pas, elle termine troisième.





Le chantier stagne, la pluie rend le ponçage du bois impossible. Le vent fait tomber quelques arbres chez nous et éparpille des branches sur les routes.
Pluie, ennui, avec ce temps là la mer doit être grosse, allez, un petit tour de machine à laver me fera quelques sensations, j’enfile mon short de bain et à la baille. Je me suis pris une branlée. Les montagnes lavées par la pluie ont donné un goût de terre à la flotte en formant une écume marron. Un fort courant de fond m’empêche de me tenir debout, la puissance et la fréquence des rouleaux me lessive, trop dur, je rentre, « game over »






Pluie, pluie, pluie, le moral s’effrite à l’image des murs de notre maison, gorgés d’eau. J’en profite pour apprendre, grâce à un voisin architecte, à utiliser un logiciel de construction 3D. Quelques jours plus tard il en sort les plans de la maison d’Yvan ainsi que son montage pièce par pièce.












certaines pièces sont compliquées, la 3D aide!




4-
Front froid. Le temps des grains. Entre quelques pluies on se fait un peu d’argent de poche via Yvan, Deb a fait le ménage d’un bateau à la marina et  moi des travaux de soudure sur un joli petit bateau en acier.


 

 

Entre les pluies toujours nous attaquons gentiment la remise en état de notre futur voilier, le Columbia. Il apparait en démontant les chandeliers que le pont est plein d’infiltrations d’eau, nous étions prévenu mais nous ne nous attendions pas à ce niveau de dégâts, grosse claque. La réalité nous a sauté à la gueule comme le manche d’un râteau mal stationné. Le coup de bâton est dur, nous sommes marqués.
Pendant les pluies nous broyons du noir, « tout ça pour ça » qu’on se dit. La carotte qui nous a fait marcher depuis le début devient blette, vieillie de tous les rêves qu’on a placé en elle. Je craque, je sors violement de mon rail de conduite un bon matin pluvieux. C’est décidé, je ne vais plus au chantier! Dépression tropicale. Cette carotte? Est-on là pour se la prendre ou pour la gagner? Ajoutons à cela l’échéance initiale du deal avec Yvan, le délai «d’équité de valeur »  était fixé à 8 mois de travaux. Nous sommes à 6 jours de cette date anniversaire, il nous faudrait encore le même temps pour terminer… Le chantier est à l’arrêt, Yvan est informé lors d’une réunion de crise majeure, il est abasourdi, si sympathique soit il nous devons stopper le deal qui nous lie, au moins faire un break. Lui-même comprend notre point de vue et est conscient d’être gagnant sur nous à ce stade.

5-
Front froid secondaire, une seconde couche?
Recherches de solutions, réflexions isolées, chacun cogite dans son coin, ainsi s’enlise le chantier.
Nous faisons fumer notre matière grise, dans tous les sens du terme, à la recherche de solutions de fuite. Tout est remis en cause, pas seulement le deal avec Yvan. Doit-on passer par l’acquisition d’un bateau, doit-on continuer à Tahiti? La communauté dans tout ça? Anna est déjà en fuite, nous l’avons quasiment perdue. Et si elle avait raison, rendez vous avec le futur chacun pour soi?
Quoiqu’il advienne nous devons prendre quelques distances, Deb et moi. Nous abandonnons Charles pendant qu’il « garde le château ». Voici venu le temps de la ballade en amoureux, de la réflexion… déjà aiguillée vers l’envie de naviguer…

6-
En attendant le retour au calme…