samedi 4 juin 2016

«Comment est votre soif d’aventure capitaine?»

«Insatiable, Tintin!» Cette réplique signant la fin du génialissime film de Spielberg convient parfaitement pour démarrer cet épisode!
Dans le rôle du capitaine, Bertrand, dit Bé. Commandant en second, bosco, photographe et chargée de l’intendance : Anne Sophie. Mon nom apparait dans le rôle d’équipage en face des fonctions de matelot, boulanger et épistolier-chroniqueur.  Des Marquises aux Îles du Vent, d’atoll en atoll à la rencontre des requins du lagon, voici l’aventure qui te ravira cher lecteur : 1 arumbayen en Vadrouil’…

***

Hiva Oa, dimanche 10 avril, 21h, nuit noire… Joujou (notre annexe) est tranquillement poussée à la rame entre les bateaux du port jusqu'à El Vadrouil’. J’ai mon sac sur les épaules, je change de bord pour les 50 prochains jours. Aussitôt embarqué, le moteur démarre et le guindeau commence à remonter la chaîne, quelques au-revoir et quelques bisous et déjà Deb s’enfonce dans la nuit à la force de ses rames pour regagner Arumbaya, seule…

Nous naviguons de nuit pour atteindre Fatu Hiva dans la matinée. C’est un peu le retour au début pour moi, c’est l’île par laquelle nous sommes arrivés en Polynésie il y a 2 ans jours pour jours et que je n’avais pas revisitée depuis. Le récit de notre première escale marquisienne est loin mais j’ai le souvenir d’un texte enthousiaste. A l’approche de la baie des Vierges (Hanavave) les sensations me reviennent, d’abord la beauté exceptionnelle de ce mouillage, les rochers dont l’érosion naturelle dévoile des visages iconographiques bluffants, les falaises et leurs crêtes, les flancs de collines verts, les cocotiers, la forme de la baie, puis, une fois à terre, le charme du petit village, la richesse de fruitiers, l’accueil, les sourires, les gens, et quelques têtes que je reconnais.
Bé connait bien ce mouillage lui aussi, il y a fait escale plusieurs fois, notamment avec ses parents. Ses passages ont laissés quelques souvenirs, plusieurs personnes demandent des nouvelles de sa famille. Anne Sophie et moi sommes présentés à Hinano, Sopi et leurs enfants, de grands amis de Bertrand avec qui nous passerons pas mal de temps.

En premier lieu il faut bien reconnaître que nous avons les mains qui tremblent, voilà longtemps qu’on n’avait plus joué de la gâchette, une envie frénétique de faire des trous dans les poissons nous habite, plouf : 1 poulpe, 2 poulpes, 3 et 4 poulpes, avec une carangue en prime. Sur le petit quai du village nous demandons le meilleur moyen de préparer nos prises  (on a déjà été déçu par le poulpe) : commencer par fracasser la bête en la fouettant contre le béton, puis on nous amène sous un arbre sur lequel on accroche la chair à dépecer. A l’aide d’un couteau, un marquisien nous montre avec dextérité la marche à suivre, puis nous confie le chantier pendant qu’il rassemble 2 citrons et une banane, les écrase dans un cul de bouteille de coca découpée qui trainait là, et y ajoute deux tentacules crues en rondelles, le casse-croûte est servi… Pour notre part il sera cuit au court bouillon avec un bouchon de liège puis servi avec du lait de coco, un régal!

fouettage de poulpe...

... et dépeçage.

Nous attendons avec impatience l’Aranui , le bateau qui dessert les îles, qui devrait arriver d’ici 2 jours, et qui contient les batteries neuves de Bertrand. Il faut dire que les 5 misérables volts que les actuelles fournissent ne nous contentent guère, les soirées sont courtes. Au programme du lendemain : se faire déposer en speed­boat dans la baie d’Omoa, là ou se trouve le second village de l’île, pour regagner Hanavave à pied par la piste qui les relie.

Le départ est donné à 7h, embarquement, speed boat, débarquement, Omoa. Nous traversons le village et dès les premiers virages de l’ascension nous sommes interpellés par un petit chantier de construction navale en bois et alu. C’est ainsi que nous faisons la connaissance de l’artisan : Didier, notre homme est intéressé par de la main d’œuvre justement, de notre coté l’idée de bosser en fabriquant des bateaux nous plaît bien, d’autant que l’atelier permet aussi de sculpter le bois et l’os et de fabriquer des yukulélés... Rendez vous est pris pour la fin de l’année…
La route, jusque là en béton, est raide, mais à mesure qu’on prend de la hauteur le paysage se dévoile, magnifique! Anne Sophie n’a pas le même rythme que nous mais elle tient bon, de toute façon il n’est pas possible de faire demi-tour, l’arrivée est devant nous. Le béton laisse finalement place à la piste, nous arrivons bientôt en haut, d’où on peut voir les différentes vallées. A mi-chemin des tables sont installées sous une ombrière de tôles, on repart après un petit casse-croûte et forts d’une récolte de citron (histoire de rajouter du poids). La descente n’en finit plus et dévoile progressivement la caldeira de la baie des vierges, entre les falaises des sommets, les plaines abruptes couvertes d’herbes et la grande cascade que nous voyons bien. C’est là que ca devient rigolo, sous prétexte d’un raccourci foireux nous parvenons à convaincre Anne So d’emprunter les crêtes avec nous afin de surplomber le village… rapidement il apparait que nous allons en chier mais hors de question de faire demi-tour, nous grimpons dans de la bruyère dense qui nous arrive jusqu’à la taille, tout ça en plein cagnard, la récompense est à la hauteur, une fois la crête atteinte l’herbe est rase et la vue imprenable! La progression nous amène jusqu'à un point de doute, de chaque côté devant nous les versants sont impraticables avec leurs pente de 70°, il faut descendre maintenant, la pente est peu moins raide (mais quand même), et surtout pour rejoindre la piste que nous voyons tout en bas il faudra emprunter une vallée ultra dense et haute de végétation variée… Douleur… nous descendons quasiment sur les fesses, la traversée de la vallée est un calvaire, c’est tellement touffu que nous ne pouvons pas voir ou nous marchons, il faut marcher en levant les jambes jusqu’au dessus de la taille,  je suis en tongues, à tout moment je crains d’en laisser une et de ne jamais la retrouver… M’enfin, on a bien fini par retrouver la piste, Anne So tente de faire la gueule pour marquer le coup de notre décision de raccourci (pourri), mais son rire légendaire la remet dans le droit chemin au bout de 2 minutes… Nos corps ont morflé, il nous faut de l’eau!!!! La piste descend de plus en plus, on se fait emmener par nos propres poids en claquant des pieds à chaque pas, des aménagements apparaissent, du béton commence à couvrir la terre, et enfin au détour d’un virage, aménagé dans la falaise, une vierge protégeant un mini bassin fait jaillir de l’eau de source. C’est la halte espérée!
Retour au bateau à 15h et repos!









la source


Coup de fil de Sopi, rendez vous à 7h le lendemain pour aller dans la brousse chercher des régimes de bananes… Anne So renonce, il faut dire que nous accusons un peu le coup. Nous partons avec Sopi… en brouette. Très peu de voitures ici (5 ou 6 pour 300 habitants), tout le monde se ballade avec sa brouette. Ca me rappelle une blague de Ouessant se moquant des habitants de Molène et valable ici aussi : «qu’est ce qu’un mec allongé sous une brouette à Molène? Le garagiste de l’île.» Bé pousse donc la brouette à mesure que la route monte en lacets, nous empruntons le chemin de la cascade puis abandonnons la brouette, notre chemin qui part à flanc de colline en pleine brousse est trop raide, il faudra faire du portage… Une odeur nous chatouillait les narines depuis un bon moment, se renforçant à mesure de notre progression, finalement nous tombons sur la source… Je n’ai jamais vu autant de vers, ils s’escaladent les uns sur les autres, tombent en grappes, rentrent et sortent du cadavre de vache qu’ils recouvrent entièrement… la boue dans laquelle on enfonçait nos pieds nus jusque là est formée du jus de ce tas de viande en décomposition… Anne So n’aurait pas tenu le choc! On passe, Sopi nous amène sur une de ses terres, nous prélevons 3 régimes et une quinzaine de kilos de citrons pour El Vadrouil. Retour, portage, brouette, et enfin, pause dans la maison de Sopi. Pour notre dernier jour, demain, nous sommes conviés à un four marquisien!

Je passerais bien sur la réception des batteries à l’arrivée de l’Aranui au mouillage mais une anecdote me fait faire un petit détour. Dans ces passagers l’Aranui comptait 2 journalistes de TF1 qui faisaient un reportage sur la desserte des Marquises et La vie en voilier en Polynésie. Je vous vois venir, non non, nous ne serons pas les héros de cet épisode mais nos trognes apparaîtrons sûrement au détour d’une prise de vue sur le quai de Fatu Hiva lors d’un numéro de 7 à 8 qui paraîtra probablement en septembre…. A vos zapettes!

13 volts!!! Nous renouons avec l’énergie! Mais nous n’en jouirons pas tout de suite, ce samedi est dédié au traditionnel, c’est donc de bonne heure (encore) que nous rejoignons Sopi et sa famille pour préparer le four. C’est la première fois pour moi que je participe à l’élaboration d’un tel festin! Je dis bien « festin » car l’idée est de travailler toute la journée en jeunant pour se remplir la panse en fin d’après midi. Ça commence comme ça : faire un bon feu bien nourri dans un cul de drum et y déposer de grosses pierres volcaniques pour les faire chauffer. Ensuite récolter le manioc, le nettoyer, le découper, le faire bouillir. Ramasser 6 cocos, les débourrer, les fendre en 2, râper la chair de chaque moitié et en extraire le lait. Enfin rendre visite au parc de cochons, ce sont des cochons sauvages qui ont été attrapés jeunes par Sopi et nourris à la coco, choisir un spécimen, le plus gros, et le transformer d’animal sur pattes en papillotes assaisonnées. Je vous épargne donc les détails de la pendaison, du vidage et du travail de découpe. Après quoi on peut enfourner, on retourne au feu du début, avec des bâtons on retire les braises du foyer pour n’y laisser que les pierres brûlantes, on dépose dessus quelques branches de bois bien vert pour supporter les papillotes de viandes, la tête du cochon fendue en 2 et quelques mains de bananes, on recouvre le tout de feuilles d’arbre à pain et de bananier jusqu'à ensevelir totalement le foyer, puis pour terminer on dépose délicatement des sacs en toile de jute mouillés puis 2 big bag retournés de manières à hermétiser le tout. Dans environ 4h on viendra découvrir.
Comme il va s’agir d’un festin, on ne s’arrête pas là. Nous partons à 3, Bé, Sopi et moi en annexe dans la baie pour faire provision de poisson en vue d’une salade au lait de coco! On dégomme sans retenue carangues et perroquets en sachant qu’on ne pourra jamais tout manger, mais bon, c’est le mot d’ordre et Sopi a un congélateur… Durant cette session j’ai manqué de battre mon record, durant une apnée une carangue à grosse tête est venue me rendre visite, elle est apparue juste derrière moi (les carangues sont d’une curiosité suicidaire), mon retournement a été un peu brusque, lorsque mon fusil s’est trouvé dans sa direction je n’ai plus osé tirer car je n’aurais pas pu la tuer, elle ne me présentait plus son flanc… Et ce bestiau tapait assurément dans les 40kg…
Retour chez Sopi, préparation du poisson, la table de découpe du cochon reçoit son seau d’eau, on y met une nappe et des couverts puis on va découvrir le four… l’odeur est extraordinaire, vite à table!!!
Festin! La viande est très bonne, le manioc ressemble à de la pomme de terre sucrée, on arrose le tout de lait de coco à l’ail, exquis!!! On en oubliera le poisson… et surprise pour le dessert, les œuvres de Sopi (qui est sculpteur) sont exposées sur une table, nous craignons un instant qu’on nous demande d’en acheter, mais nous nous plantons totalement, on nous invite à en choisir chacun une, c’est cadeau! Nous repartirons avec un tiki chacun.



nouilles VS crocks

Au revoir Fatu Hiva, à dans 6 mois… C’est parti pour les Tuamotu, cap au sud ouest sur l’atolll de Makemo dans 480 milles. Le vent annoncé est faible (10/15 nœuds) et nous fera naviguer au grand largue. Finalement le vent est très faible, il est difficile de garder les voiles gonflées pour qu’elles ne fasseyent pas. On avance avec la GV en grand et le génois tantôt tangonné à contre (en ciseau), tantôt établi sous le vent. C’est dans cette configuration qu’un grain nous a surpris, en plein jour, on ne le pensait pas si coriace que ça, et bien si! Gros départ à la gite, pluie drue, c’est très désagréable de se faire surprendre, surtout quand les bosses de ris se sont bien emmêlées sur la bôme… M’enfin, c’est rentré dans l’ordre. 103 milles le premier jour, 120 le second, et pour les jours suivant le moteur a dû intervenir car la pétole gagnait sur nous… niveau pêche, un petit thazard s’est laissé convaincre par notre leurre… La cohabitation avec Bé et Anne So se passe plutôt bien, j’ai pris mes aises immédiatement après le premier repas en digérant sans retenue et en gratifiant l’assemblée d’immondes gaz dans une bataille bien masculine engagée avec Bé… Anne So arrive quand même à en rire malgré le mal de mer qui plane au-dessus d’elle… Si on avait eu recours à la cape cet épisode peu glorieux aurait pu s’appeler « la cape et les pets ».





Un peu plus de 4 jours plus tard nous nous présentons en fin de journée devant la passe sud de Makemo. Nous sommes un peu en avance sur l’étal de pleine mer, le courant est censé être rentrant, de visu le mascaret n’a pas l’air trop gros, on se lance avec le moteur. Le courant peut atteindre des vitesses élevées et les configurations donnent parfois un chenal étroit, c’est toujours un peu délicat de prendre une passe quand on n’y est pas familiarisé. Bertrand en a déjà quelques-unes au compteur, pas de souci pour le franchissement, sinon qu’à notre surprise le courant était sortant, certainement dû à de la houle qui passe par-dessus le récif en remplissant le lagon. Rapidement après être entrés l’eau est aussi calme que sur un lac, nous mouillons près du quai auquel est déjà amarré le cata de notre ami Franck.


A peine avons-nous terminé de lover tous les bouts et de ranger les voiles que nos regards étonnés se tournent vers un pêcheur à l’œuvre sur le quai, ce dernier a attrapé un requin à la ligne et est en train de le hisser sur le quai, après quoi il le laisse se fatiguer puis lui plante son couteau dans le corps et finit en lui ouvrant la tête en 2. On se dit immédiatement qu’ici ils mangent du requin, mais non, la bête saignante est balancée à l’eau… Le jour décline en laissant place à la pleine lune, le scintillement blanc se reflète progressivement sur l’eau plate du lagon pendant que les premiers éclats du phare qui veille sur la passe traversent l’obscurité de l’air, le vent tombe totalement, le thermomètre refuse de descendre…


Pendant ce temps là à Hiva Oa. Deb, Julien et Julie viennent de passer le CRR (certificat restreint de radiotéléphonie), ce qui nous permettra enfin d’être en règle avec notre VHF. J’imagine que l’examen c’est bien passé, difficile d’avoir des échos, le réseau Vini est difficile à capter… Aux dernières nouvelles Deb s’en sort pas trop mal, en dehors de ses heures de travail elle parvient à gérer différentes pannes comme le moteur de l’annexe et le renouvèlement de la grosse bouteille de gaz (transvasement délicat de l’annexe au bateau), elle se dépense en se déplaçant en kayak et vélo, et ne se prive pas d’une petite soirée à bord de l’Aranui, invitée par l’ami David qui y joue en concert  en tant que guitariste dans un groupe local de jazz manouche. Nous devons (vous et moi) nous contenter de ça, je ne capterai pas le réseau pendant les 10 à 15 prochains jours… Des voileux que j’avais revus à Fatu Hiva m’ont demandé si j’étais bien «le mec à Débo» et si elle était toute seule en ce moment?… «Le mec à Débo» se dit que le temps va être un peu long sans elle et qu’il aimerait bien que Débo et Arumbaya soit avec lui…

Au réveil c’est la fournaise, mer d’huile, pas un brin d’air, cela va durer quelques jours, à tel point qu’au réveil nous glissons dans l’eau avec un mégot à la bouche et notre thé sur la jupe du bateau… On se croirait dans une piscine, sur le sable blanc, à 10m sous le bateau nous voyons nos ombres, ainsi que celles des poissons, l'eau est à plus de 30°… En revanche, chaque minute passée torse-nu se paye d’une rougeur doulourante.

Nous rendons visite à Franck, c’est le moment de lui rendre sa machine à coudre qui nous a tant servi à Atuona. Nous ne tardons pas à orienter la discussion sur la scène de la mise à mort du requin, nous sommes éclairés : 3 jours avant notre arrivée 2 pêcheurs locaux ont subi une attaque, les circonstances sont un peu floues, l’un des 2 a raconté aux médias avoir fait des prises de karaté au requin pour libérer son pote (Chuk Norris à Makemo), mais il semblerait que pour protéger une prise ils aient tiré sur un requin gris, lequel aurait attaqué en  retour. Les 2 se sont fait mordre, l’un a dû partir en urgence à Tahiti car il lui manquait de sérieux morceaux à la jambe et au bras, jusqu'à la main. Apparemment il y avait une sale ambiance dans l’eau ces derniers jours (montée de lune?), plus de thons ou de poissons de ligne, les requins très oppressants,… Toujours est il que cette histoire très peu banale a remué les esprits et on s’autorise donc à zigouiller du requin au motif qu’un cadavre de requin dans l’eau calme les autres (ils ne se mangent pas entre eux à part les requins tigre).
Fort de toutes ces infos Franck propose une petite plongée dans l’heure, une dérivante dans la passe. Anne So s’embarque dans l’aventure pendant qu’on se prépare pour la pêche avec Bé.
La pêche en milieu hostile est une découverte pour moi, et après ce récit je ne suis que mollement emballé, loin de moi l’idée de me battre avec une horde de requins affamés pour un pauvre poisson perroquet  gratteux! Mes seules expériences de requins aux Marquises se résument à 3 spécimens maximum en même temps et facilement dissuadables, Ici ce sont des meutes, des pointes noires, des pointes blanches, et du gris… Pas les pires heureusement, mais disons que ça ne met pas à l’aise au début. Lorsqu’on flèche un poisson, il faut immédiatement le ramener à soi et le porter hors de l’eau si on a l’intention de le manger, sinon en quelques secondes il sera dévoré au bout du fusil, ce qui est très désagréable! Et je vais le découvrir, ça arrive plutôt souvent, il faut un peu porter ses couilles pour remonter un poisson jusqu'à l’annexe…
Nous partons donc en croisade avec Bertrand, les fonds de la passe sont magnifiques, tapissés de coraux, mais le poisson est un peu timide, nous tentons de nous laisser emporter par le courant pour voir ce qui pourrait se présenter… En tirant un perroquet la flèche de Bertrand s’est coincée dans le corail, comme une ancre le retenant contre le courant, avec le poisson blessé qui dansait la carioca, le javelot dans le bide. Une seconde après l’alerte est donnée et déjà les requins arrivent avec la ferme intention de manger, pour notre part nous assistons impuissants (trop occupés à palmer contre le courant pour soulager la flèche) à la tentative de survie du poisson blessé : dans un ultime battement et en se déchirant la chair il a réussi à se dégager et trouver refuge sous une patate de corail, suivi de très près par les prédateurs qui n’hésitent pas à bousculer les coraux pour trouver la récompense… La flèche s’est dégagée, nous ne saurons pas si ce petit poisson a trouvé une mort par suite ses blessures ou par mâchage en règle, le seconde étant plus vraisemblable… Après cet épisode nous avons été suivis de très près par une bande de pointes blanches qui nous chargeaient un peu trop, la sagesse a imposé de remonter dans l’annexe que nous tenions au bout d’un bout.
L’habileté de Bertrand nous a permis de ne pas rentrer bredouille, réussissant à remonter sans encombre un délicieux coulipo.  Pour ma part j’ai tenté de me venger sur le «poyo del mar», l’oiseau de mer qu’on appelle la frégate. Avec le harpon c’est pas facile, je devrai me contenter de quelques plumes seulement….


 Au bout du quai (vu de la mer) se trouve le seul village de l’atoll, Pirautoe.  Gagnés par la nécessité de se dégourdir les jambes, de poser nos yeux sur autre chose que du liquide bleu, et accessoirement de communiquer, nous posons le pied à terre. Le soleil cogne toujours, dès que possible nous stationnons nos carcasses à l’ombre et progressons par étapes. Curieusement les voies sont en bitume et on croise beaucoup de voitures par rapport à la surface circulable du petit bourg. Les constructions sont toutes en béton et les bâtiments publics sont surélevés, en protection contre les tempêtes tropicales qui sévissent par ici de décembre à mars. Rappelons que sur les atolls, les villages sont bâtis sur des langues de sable à fleur d’eau. En revanche ici, beaucoup de couleurs, le blanc dominant est altéré par des peintures vives de violet, vert, jaune, bleu ou orange, sur les murs de clôtures ou même sur des pans de maisons. Niveau végétation, des cocotiers à perte de vue et quelques fruitiers plantés dans les jardins, mais on est très loin de l’abondance des îles marquisiennes. L’accueil légendaire des polynésiens est de rigueur, les sourires sont sur toutes les faces et chacun est avenant pour discuter ou renseigner.

de l'ombre!




Quelques jours plus tard nous hissons à nouveau les voiles, le but est de traverser les 25 milles qui nous séparent de la passe nord, à travers le lagon. L’avantage principal de naviguer en eaux fermées c’est qu’il y a rarement de houle, juste quelques ondes de surface, ce qui permet de se faire plaisir à la voile sans être ralenti par les vagues. En revanche le moindre défaut de concentration peut conduire à la perte du bateau (surtout s’il est plastique), la progression est un véritable slalom entre les patates de corail de plusieurs mètres de diamètre et qui culminent à une trentaine de centimètres sous la surface. Il convient donc d’ouvrir l’œil, le mieux étant d’être au moins 2, un barreur et un guetteur, à l’étrave. La météo joue aussi son rôle, si le ciel est couvert ou si le soleil se reflète sur l’eau, les tâches de bleu turquoise trahissant la présence de patates sont indécelables.  Justement en début d’après midi le soleil commence à engager sa descente, ses reflets commencent à brouiller notre vision, la sagesse s’ajoutant à notre souhait, nous nous déroutons pour mouiller près d’une fine bande de sable recouverte de cocotiers qui sépare l’océan du lagon.  Au loin nous apercevons une paire de mâts dont l’esquif semble également à l’ancre.

le chapeau du guetteur de patates


 Il faudra attendre le lendemain matin pour s’apercevoir grâce aux jumelles que notre lointain voisin n’est autre que Moana, la double pirogue, en train de hisser ses voiles. En moins de 5 minutes nous voilà déguisés en pirates de fortune et nous partons en annexe à l’assaut de Moana, brandissant coupe-coupe, grapin et chaîne,  et drapeau noir. Même s’ils avoueront avoir eu un léger moment de doute, Chriss et Nine nous ont reconnus de loin. Tels des otages, leur bateau vient mouiller à coté d’El Vadrouil.



La présence de Chris vient renforcer notre équipe de pêcheurs, à 3 nous sommes maintenant invincibles, nous sillonnons le lagon de patates en patates, et même jusqu’au récif distant de 3 milles à la recherche de la chair rare : le utu, appellé ici tarefa, et plus généralement poisson job. Plusieurs auront été dans notre ligne de mire en 4 demi-journées de chasse mais aucun n’a pu être fléché. On se sera contenté de perroquets, carangues bleues, mérous marbrés, un poulpe, quelques bénitiers (gros coquillages de corail) et un très honorable bec de canne, magnifiquement tiré en agachon, sous la surveillance des requins, à 20m de fond par Bertrand! Ah ça des requins on en a vu, de très près même, ils captent tout ce qui se passe, dès le premier tir, réussi ou non, on les voit apparaître, remontant du fond et venant parfois jauger notre assurance. On s’est vu quelques fois quasiment dos à dos tous les 3, repoussant de gestes vifs du fusil des assaillants trop sûrs d’eux. Ces rivalités sont souvent conséquence d’un poisson tiré et remonté trop tardivement. Il arrive que la flèche se bloque dans le décor, ralentissant la remontée, ou qu’en fin d’apnée on pense plus à retrouver l’air de la surface qu’à se hâter de ramener la prise et de la hisser hors de l’eau. Lorsque l’un de nous descend se cacher derrière une patate, un autre surveille d’en haut les trajectoires des requins. A partir du moment où le plongeur remonte avec sa prise il est souvent nécessaire de descendre en le croisant, jusqu'au poisson fléché, afin de repousser certaines attaques extrêmement rapides.




Moana

La fin de cette compagne de chasse sous-marine est célébrée sur l a plage, Nine et Chris nous initient au four traditionnel poamotu, il est encore question de se servir du feu pour chauffer un substrat. En fait, on étouffe le feu grâce à des galettes de coraux morts qui jonchent la plage et qui transmettront lentement la chaleur à la nourriture que l’on pose directement dessus. Le poisson cuit comme ça est délicieux! Avec les restes du repas on peut ensuite nouer un bout sur les têtes des poissons et les balancer dans l’eau à 1m du bord, les requins qui guettaient notre festin se jettent dessus, dès que l’un a le bout en bouche on peut facilement le hisser sur la plage car il est incapable de recracher une prise maintenue en tension. Cette  capture est assez surprenante, on prend bien la mesure de la force et de la férocité de l’animal, qui regagnera la mer en rampant en balayant de la queue tout ce qui l’entoure, jusqu'à se fouetter la tête à chaque battement…





le plein de cocos





En arrivant à Makemo, Moana a emprunté la passe nord, là ou nous nous rendons, et compte se rendre au village, d’où nous venons. Nous échangeons donc les infos et les bons plans mouillage. On nous conseille une petite baie à gauche de la passe, l’eau parait-il y est infestée de requins et le fond tapissé de patates. Chacun part de son coté, le rendez vous est donné avec Moana,  on se retrouvera dans 4 jours (quand la fenêtre météo sera idéale) à Fakarava, un atoll distant de 90 milles.

El Vadrouil reprend donc sa traversée du lagon là où on l’avait laissé il y a quelques jours. A l’approche de la passe on bifurque vers le mouillage indiqué, Bertrand reconnait les lieux, il avait déjà mouillé dans ce coin en montant aux Marquises. Effectivement le fond est un véritable champ de patates, de fines tours de corail saillantes de plusieurs mètres de hauts… Une fois l’ancre balancée nous installons des bouées sur la chaîne afin que notre mouillage ne s’emmêle pas dans le décor, puis nous plongeons pour voir de près le cheminement de la chaîne. Opération mise à mal et vite avortée par la présence de pointes noires et surtout d’un requin gris, très, trop curieux, venant jusqu'à toucher le bout de mes palmes, complètement insensible à nos cris dans l’eau et autres stratagèmes visant à le repousser ; difficile de prévoir ses intentions ou du jauger son hostilité, nous prenons cela comme une invitation à remonter à bord dans les plus brefs délais…




Une langue de sable farcie de cocotiers forme une anse autour de cette petite baie, du bateau on aperçoit quelques constructions, il s’agit d’un campement public pour les ramasseurs de coprah. Le coprah est l’activité principale, et même quasiment la seule source de revenus en dehors du tourisme et des quelques fermes perlières encore en activité. On appelle coprah la chair de noix de coco séchée, ingrédient essentiel du monoï, une fois en sac de jute le coprah est collecté régulièrement par les bateaux de ravitaillement pour être transformé à Tahiti. On trouve donc dans ce camp une salle de vie en dur, quelques cabanes de logement (les ramasseurs viennent ici pour plusieurs jours), des séchoirs à coprah et un système de récupérations des eaux de pluies qui sont stockées dans une grande cuve de béton. L’eau de pluie est le seul moyen d’avoir de l’eau douce dans la majorité des atolls, les nappes phréatiques étant d’une rareté inestimable. Au village, chaque maison est équipée de gouttières et d’une énorme cuve de stockage en plastique noir «Rotopol». En cas de pénurie le bateau ravitailleur dispose d’une cuve d’eau douce et peut dépanner les collectivités. Pour l’énergie au village il faut compter sur la génératrice diesel qui fonctionne de 8h à minuit.
Revenons à notre campement, actuellement vide : nous nous y baladons, faisons le plein de cocos et profitons du pieu à poste qui permet de débourrer les cocos en quelques secondes, jaugeons le niveau de la cuve d’eau et y prélevons 2 seaux pour la lessive et le plaisir d’une confortable douche d’eau douce ce soir! On ressortira le shampoing pour l’occasion!

La vie en atoll est un peu spéciale, je me demande quel doit être le quotidien d’un habitant, le cadre a beau être magnifique j’ai le sentiment qu’on en fait vite le tour, surtout pour ceux qui n’ont pas de bateau. Les fonds marins sont enchanteurs, mais nous commençons à regretter ceux des Marquises à cause de la concentration de requins. Dès la fin du petit dèj,  un attroupement de poissons se délectant des miettes de pains et des chasses d’eau appelle à leur tour la meute, ils sont une dizaine à montrer leurs ailerons en tournant autour du bateau… on n’ose même plus se baigner… Le moment est choisi, l’idée germe simultanément avec Bé d’en choper un, un gros gris de préférence, histoire de tâter la bête d’une part, et surtout de vérifier la justesse de cette affirmation locale : «en mâtant le chef de meute les autres se tiennent tranquilles».



Nous excluons dès le départ de le flécher, trop dangereux, le mieux selon nous est la ligne, on pourra toujours la couper en cas de galère. D’abord tirer un appât (poisson quelconque) depuis l’annexe, ce qui a pour effet de doubler les effectifs et l’excitation des requins.  Puis monter une ligne en bout passant par une poulie sur le bossoir et renvoyée sur un winch, se terminant par un bas de ligne en acier de grosse section sur lequel est monté le plus gros hameçon du bord. Y embrocher le petit poisson en prenant soin de le lacérer un peu (oui je sais, c’est sadique, mais c’est la pêche, on ne dit rien quand il s’agit d’un asticot?!) et le plonger par intermittence. La température dans l’eau monte d’un cran, il vient des ailerons de toutes directions, ça s’énerve, ça tape de la queue, l’un d’eux se prend dans l’échelle de bain et donne de grands coup de tête dedans, à partir de maintenant il serait mal venu de tomber à l’eau! Pendant ce temps on prépare un second bout qu’il faudra passer en lasso autour de la queue du requin pour le monter. Tout est prêt, l’appât est plongé, les 2 premiers prétendants mordent chacun leur tour et sont hissés hors de l’eau en donnant de grands coups de queue mais ils n’ont fait que mordre l’appât, celui-ci cèdera en retombant avec les  prises. Le troisième essai est le bon, l’hameçon a piqué au bord de la lèvre, c’est le plus gros des requins gris présent, nous le hissons jusqu'à le sortir de l’eau, pendu au bossoir, c’est très impressionnant, on n’ose pas s‘approcher pour passer le lasso mais y parvenons quand même, pile au moment ou l’hameçon se décroche. On l’a! Il est affaibli, nous le hissons par la queue et observons notre trophée de près, touchons sa peau, et hallucinons sur sa dentition cauchemardesque. En me disant que je n’aurai surement jamais l’occasion de le refaire, je glisse mesquinement un petit trouloulou, déclenchant l’hilarité générale… Puis grâce à la poulie nous le redescendons, fatigué, dans l’eau.


le plus foncé à droite est un gris, les autres des pointes noires.








l'érosion de l'appât.







Effectivement la population de requins face à cette prise a nettement diminuée et a gagné en sagesse, cependant il en reste encore beaucoup, nous ne serions néanmoins pas capable de plonger maintenant. Donc la technique visant à tuer un requin et à l’exposer sous une bouée pour chasser tranquillement ne nous convainc pas, d’autant que cela fait un appât de choix pour le tigre…
Le requin soumis ne montre plus d’agressivité, alors qu’il est à fleur d’eau nous libérons le bout qui le retenait puis il a regagné doucement le fond sans demander son reste… Notre Karma en aura-t-il pris un coup? C’est vrai que dans l’instant qui a suivi la libération, nos pulsions  judéo-chrétiennes ont lancé l’interrogation,  mais convenant qu’en ce qui concerne l’appât nous n’avons aucun remord, nous n’allons pas en avoir pour un requin même pas mort… Mettons cela sur le compte de l’expérience à la limite du naturalisme et punissons-nous en n’osant plus mettre un orteil dans l’eau… Les requins ont tous disparus mais ils sont dans nos têtes désormais…

C’est malin, il faut changer de mouillage maintenant. Dès les premiers mètres de chaînes avalés par le guindeau ça bloque, le mouillage est complètement pris dans les patates… Un volontaire pour plonger???  Pas de volontaire. Bé, en bon capitaine, s’y colle. Ca coince, attendu que le soleil décline et attendu que ligne de mouillage s’acharne à rester au fond, décision est prise de reporter au lendemain la manœuvre. Sage décision, en 2 apnées le problème est réglé en début de matinée suivante, hop El Vadrouil déménage! L’ancre est posée plus loin, dans le sable, notre espoir est court, déjà des requins curieux rodent autour de la jupe… Session pêche quand même mais sans grande conviction, on nous surveille. Trop. Trop de squales, même dans l’intimité, nous repoussant dans de cocasses retranchements. Je me permets ainsi de renseigner le lecteur sur le plaisir ordinaire de notre bon capitaine :  son petit bonheur est de caguer dans l’eau entre 2 brasses après son petit dèj, seulement ici il doit s’équiper d’un masque et s’armer d’un fusil… Caguer en serrant les fesses… Scène épique, on se croirait en pleine parodie des «dents de la mer»…
Dernière expédition, une visite de la passe, courant rentrant, magnifique, on observe de loin, outre les ordinaires, quelques requins citron dont la cohabitation avec l’homme n’a pas bonne presse. Difficile de se lasser du décor des passes, tellement de coraux et de poissons, un régal!


Apparition hier, dans le lointain, coincées entre le ciel rougeoyant du crépuscule et les embruns du récif, d’une élégante paire de voiles à corne qui évoluait, c’était Moana. Contact VHF, ils ont quitté l’atoll par l’autre passe et modifient leurs plans, direction Tahanea au lieu de Fakarava, bye les amis! Idem pour nous, après avoir remballé le campement, on se fait complètement éjecter de la passe par le courant avec des pointes à 9 nœuds. Enfin, nous sommes en mer, direction Fakarava, pas beaucoup de vent pour l’instant, on commence tranquille, à cette allure nous calculons d’arriver au bout des 90 milles durant la soirée du lendemain. Nous franchirons la passe à 8h le matin, avec 12h d’avance! La nav n’a rien eu de tranquille. En début de soirée le vent  a fortement fraichi, jusqu’a prendre tous les ris sur chaque voile. Le bateau file, pluie continue, froid, houle forte et serrée (période de 5 secondes) dont quelques déferlantes arrivent à éclabousser dans le cockpit, bref, une nav assez fatigante. Anne Sophie est en vrac dans le carré, on ne peut pas compter sur elle, on se fait des quarts de 2h avec Bertrand. Grosse récompense en milieu de soirée, nous rasons l’atoll de Katiu, à moins de 2 milles dans l’espoir de capter du réseau, Bertrand espère télécharger quelques fichiers météo, pour ma part je m’impatiente d’avoir des nouvelles de Deb. Après 10 jours de solitude dans le lagon de Makemo (en dehors de Moana) je n’ai plus aucune nouvelle et j’imagine que ca s’inquiète un peu chez les terriens. Le téléphone se manifeste, des messages de Deb, tout va bien, content moi!!! Au lever du jour la passe sud de Faka est en vue, seulement la mer est démontée et la passe est très exposée à la houle, notre guide nautique indique «passe non praticable par forte houle de sud ouest», tiens donc?! On affale et on s’approche au moteur, entre le fort courant sortant et la houle,  le bateau est difficile à tenir. Aux abords de la passe le courant a l’air d’aplatir la mer, c’est notre chance. Bien que la question se pose à bord de reprendre le large pour trouver refuge dans un autre atoll, nous avons tous envie d’en finir et de se mettre à l’abri. Le capitaine couillu tente le coup, moteur à fort régime contre le débit d’eau éjectée par le lagon, la bateau franchit enfin la cardinale, signant la victoire. Je ne sais pas si Arumbaya aurait pu passer avec ses 27cv, contre 54 pour El Vadrouil… Plus qu’à jeter l’ancre et 45 m de chaîne dans 10m d’eau, si la houle a disparu, le vent souffle toujours sans faiblir, le ciel est tout gris, Anne So assure le coup en préparant des crêpes puis nous sombrons dans le sommeil pour toute la journée.


Faka sud! Depuis le temps que j’entends parler de cette passe mythique! Au dessus de l’eau on ne saurait la différencier d’un autre atoll, outre les ruines de cette ancienne capitale Poamotu désertée il y a près d’un siècle. Récifs, sable, cocotiers et quelques pensions et clubs de plongée. Et pour cause, c’est sous la surface de l’eau que ça se passe! On appelle cette passe «le mur de requins », un récent comptage fait état de 700 requins gris filtrant le passage de 200m de large pour une profondeur moyenne de 15m. C’est aussi dans cet endroit que viennent se reproduire une fois par an de fortes concentrations de mérous. Je vous recommande très chaudement le reportage «le mystère mérou», vous situerez bien le décor et l’ambiance sous marine!
Par faute de moyens Bé et moi nous contentons de dérivantes en apnée pendant qu’Anne So, forte de plusieurs niveaux de plongée s’offre 50 minutes au fond… Nous excluons de pratiquer la chasse en ces lieux ou l’homme n’est pas le plus grand prédateur, lorsque Anne So demande à son moniteur de plongée si les requins sont à craindre, il répond par la négative mais ne peut s’empêcher d’afficher sa cicatrice au bras… il nous explique qu’il ne faut pas avoir de conflit de nourriture avec eux, si on respecte ce seul pacte il n’arrivera rien. J’imagine aussi que dans ces atolls farcis de plongeurs sous marin le squale est plus familiarisé à l’homme et la cohabitation s’en ressent.





En dehors de quelques éclaircies radieuses la météo ne semble pas vouloir quitter son régime de vent venu du sud, portant des échantillons de températures des fraiches latitudes. Idem pour la pluie, le ciel apporte son lot de grains bien drus, rendant la flotte à peine transparente… J’apprendrais par Deb que cette région des Tuamotu est classée en vigilance jaune. Pendant ce temps à Hiva Oa Deb assure comme une chef, elle multiplie les jobs pour soulager la déchéance de notre caisse de bord : aux vente de plats, création de bijoux et laverie viennent s’ajouter quelques heures de carénage à flot et à sec, Nos amis Gilles et Armelle ont également fait appel à ses services pour les aider à fabriquer une jupe en époxy sur leur bateau, rien que ca! Je suis vraiment très fier de ma petite puce!!!
J’en viens à regretter de ne pas être rester là bas tellement la météo joue avec notre patiente, on passe des journées à bord, pas assez de soleil pour recharger les batteries et se permettre de se vautrer devant un film, il reste la lecture, qui a ses limites, et enfin des jeux de société, un seul en fait, Citadelles dont nous avons bien fait le tour…  Nous n’aurons jamais autant mangé de crêpes et bu de chocolat…Vous l’aurez compris, notre moral s’effrite un peu. D’une manière générale on regrette tous un peu nos Marquises…


Je vous épargnerais donc un compte rendu journalier des 3 jours à Faka sud, de la traversée du lagon sous la pluie pour gagner le village, au nord, puis des 4 jours suivant à ce mouillage à subir encore et encore la pluie, le vent et la houle qu’il lève… Pendant que j’écris ces lignes le bateau est complètement branlé, d’un bord sur l’autre alors que l’étrave s’acharne à monter et descendre, la pluie nous oblige à fermer toutes les aérations et le vent fait chanter les haubans… Enfin, Anne So récolte la joie d’un mal de mer au mouillage et je crois que j’aurai aussi bientôt mon compte… Il y a des fois ou je me demande si j’aime vraiment le bateau… Allez ca va bien finir par passer!
Pour la défense de Faka, il n’y fait pas toujours ce temps, le village est charmant, et une fois de plus on y est bien accueillit. Lors d’une promenade ou nous nous sommes fait rattraper par un grain monstrueux, un gamin est venu à notre rencontre avec un parapluie en nous signifiant que sa mère nous proposait de se mettre à l’abri chez eux, chouette ambiance!

La suite du programme de navigation est soumise au vote, voilà plus d’un mois que nous sommes partis, il faut penser à se diriger vers Tahiti maintenant. La dernière escale Poamotu sera Rangiroa dont Anne So nous vante les mérites depuis longtemps, c’est ici qu’elle à fait la majorité de ses plongées. Et puis surtout nous retrouverons Pam (notre équipière de noël) et Alexis (aussi ancien équipier de haut grade sur Arumbaya). En 24h de nav nous venons à bout des 130 milles et profitons d’un moment de calme de la passe réputée agitée de Tiputa pour nous glisser dans le lagon. Déjà Alexis nous attend sur la plage, l’excitation des retrouvailles est grande! Pam et lui sont en colloc’ dans une petite cabane de bois sur pilotis dont les polynésiens ont le secret. Le cadre est envoutant, des arbres pour l’ombre et des pelouses entretenues, de petits chemins de sable blanc tassé bordé de haies de fausses vignes menant au lagon, offrant toute une palette de nuances de bleus… En un instant je me suis dit que je serais capable de vivre ici (en terrien) quelques années… Pam occupe le même poste que quand on l’a rencontrée à Hiva Oa, médecin itinérant officiant dans les dispensaires au gré des affectations, ce qui l’a menée ici. Alexis coule des jours heureux, entrecoupés de quelques heures de «guide marin en milieu lagonnaire» pour des touristes en gilets de sauvetage, peu habitués à la baignade et désireux de se faire tracter par leur guide, accrochés à une bouée style «Alerte à Malibu», à observer les patates. Pourquoi pas?! Nous passerons 4 jours ici, les retrouvailles intenses sont célébrées à grands coups de bières chaque soir, c’est une grande débauche générale! Le clou de la célébration est sans conteste cette folle journée de pendaison de crémaillère doublée de l’anniversaire d’Alexis… grande bouffe lourdement arrosée au rhum avec tout un tas de gens sympa, 14h d’ivresse déambulatoire parmi lesquelles un apéro-spa dans l’eau claire du lagon… Du joli n’importe quoi en somme, mais tellement bienfaisant après ces derniers mois de quasi abstinence. Je remercierais au passage mes compagnons de bringue qui ont assumé ma part de pauvre dans l’accomplissement de ces 4 jours d’excès!




au complet : Pam, bé, Alexis, Anne So et moi.



aïe...

C’est déjà l’heure du départ, le vent qui s’était fait attendre commence à gonfler les voiles à la sortie de la passe d’Avatoru. Pendant ce temps, notre bon Julien s’en revenant de la mère patrie et en partance pour les Marquises, est pris, non pas en otage comme on voudrait nous faire croire, mais en vacances prolongées à Papeete, par les grèves du personnel d’Air Tahiti… Donc en attendant que les actionnaires cèdent un peu de leurs bénéfices au petit personnel (délicate opération bancaire qui semble toujours nécessiter un délai considérable), nous risquons fort d’avoir un équipier supplémentaire pour voguer le long des cotes de Mooréa. Excellent, un dernier coup de fil avant le large confirme ce super plan, nous mettons donc le cap sur l’île de Mooréa, ou Julien nous rejoindra en ferry…

L’océanis de Bé est un avaleur de milles, 200 en 36h, nous arrivons à 4h du matin dans le chenal qui sépare Tahiti de Moorea. Les silhouettes noires des 2 îles hautes apparaissent tranchées dans le ciel de velouté anthracite que renvoie la pleine lune. Celle de Moorea semble dormir profondément tandis que celle de Tahiti est en pleine éruption lumineuse. Telle des coulées de lave, les premiers scintillements jaunes orangés des éclairages  naissent fébrilement des hauteurs puis s’accentuent en descendant par les vallées, séparées par les hautes dorsales, tels des flots grossissant, pour finalement former au ras de l’eau un amas de lumières, de flashs et de scintillements trahissant l’activité de la capitale polynésienne. Nous le sentions a mesure que la distance diminuait, maintenant le long des cotes il est saisissant : le froid! Nous l’avions oublié celui là, et oui, c’est le début de l’hiver ici et nous nous sommes bien éloigné de l’équateur, fini les nuits à poil sans draps, il faut mettre un slip maintenant pour affronter les 25 degrés nocturnes…

Quel plaisir de retrouver Julien, pour fêter ça nous pénétrons dans le centre commercial carrefour de Mooréa, après calcul nous réalisons que cela fait 7 mois qu’on n’avait plus mis les pieds dans ce genre de temple de la consommation… Nous entrons pour un pot de moutarde, nous ressortons chargés… Nous serions déjà ruinés si il y avait eu une grande surface aux Marquises!

2 jours de farniente plus tard Air Tahiti organise un vol pour Atuona, Julien nous quitte déjà, j’en profite pour réserver mon vol pour la semaine prochaine et nous filons pour la baie Phaeton, notre fief de Taravao. Dès l’ancre jetée je me sens de retour à la maison après un long voyage. Ainsi commence le pèlerinage, je passe 2 jours à m’y balader en stop et sac à dos, retourne voir les endroits mythique, notre plage d’Afaahiti, le chantier d’Yvan, et bien sur notre vieux château. Ce dernier n’aura pas connu d’autres habitants et risque fort de ne plus jamais en connaitre. Tout est comme on l’a laissé, a part quelques préaux de bois affaissés ou écroulés, la végétation croissante qui forme déjà presque une forêt le long des murs (l’état dans lequel on a visité cet endroit la première fois).
Du coté d’Yvan la nouvelle à tardé à s’étendre sur le blog mais voilà, c’est sur, Deb et moi reprenons du service sur sa maison!!!! Grande nouvelle! Nous avions envisagé sérieusement de mettre les voiles en aout, quitter la Polynésie pour la Calédonie, poussés par notre pauvreté croissante et attirés par des récits de glorieuses caisses de bord. Mais non, au lieu de ça nous n’avons pas hésité plus d’une minute pour accepter la proposition d’Yvan de reprendre du service contre une caisse de bord! Nous avons pesé le pour et le pour. Arumbaya et son équipage sont donc très heureux de pouvoir sillonner les eaux polynésiennes encore au moins un an supplémentaire!!! Reprises des travaux mi aout, charpente, ossature bois et couverture au programme!

El Vadrouil’ est en plein désarmement, tout l’équipement extérieur est démonté, Bertrand et Anne So sont à pied d’œuvre pour bichonner leur voilier car il restera 1 mois et demi à l’ancre dans la baie pendant leur bref retour en France. De mon coté ca sent le départ, je me languis de retrouver Deb! Air Tahiti me réserve à mon tour une surprise en annulant mon vol, le personnel étant toujours en grève. Qu’a cela ne tienne, je quitte le bord quand même, après près de 2 mois de Vadrouil’, c’était de chouettes vacances… Me voilà parti avec mes sacs en stop, mon plan est simple : miser sur la sympathie des grévistes en me joignant à eux histoire de manifester un peu, afin de trouver un hébergement… Mais point de manifestant, la grève est silencieuse, mon plan capote…

C’est donc depuis ma chambre d’hôtel à Papeete, gentiment payé Air Tahiti, que je boucle cet article, en attendant le prochain vol pour les Marquises…

Je répète pour ceux qui sont en manque d'images, vous pouvez zieutez le documentaire "le mystère mérou" (Gil Kébaïli, Laurent Ballesta), et si vous en voulez encore, je vous recommanderai "les dents d'Hakaui" (Gil Kébaïli), sur la chasse traditionnelle du cochon sauvage et le four marquisien.

Pour conclure voici les photos de la jupe qu'a fait Deb, en époxy, du super boulot, les images parlent d'elles même!!!

Dans le prochain article il sera question du retour d'Arumbaya vers Tahiti en vue de recevoir la première visite tant attendue de la famille!!! A bientôt alors, et bonne bourre comme on dit ici!