Je crois qu’il est bon de commencer par une petite note,
préface ou avertissement, peu importe. Ceux qui aurons suivis nos aventures sur
ce bateau depuis le Panama doivent bien se douter de quoi il s’agit, la réponse
est contenue dans le titre comme dirait Coluche. Alors voilà le récit de la
grande traversée, mais pas que! C’est aussi finalement le récit d’une
expérience de cohabitation très spéciale que nous n’avons su laisser de côté.
Au fil des milles nous avons appris de nous, de notre incapacité de
communication face à des situations humaines que je qualifierais de toxiques,
une incompréhension permanente qui nous à retranchés dans nos bassesses, le
commérage et la médisance, préférant se livrer à la domestication qu’au
soulèvement. Nous ne nous en sentons pas grandis, le sentiment d’avoir raté
quelque chose sur le plan relationnel est très fort. Le camp adverse, si je
puis me permettre l’expression, s’est révélé être d’une bassesse au moins égale
à la notre, usant de stratagèmes et de ruses perfidiennes visant au moindre
effort, faisant part d’une vanité qui frôlait le fanatisme, et entremêlant ses
stratégies de navigation dans la contradiction, au point de nous tirer des fois
des rires, des fois des larmes… Ces instants douloureux ont été inscrits à
chaud dans ce journal de bord, ils seront facilement identifiables. Après
réflexion nous décidons de les y laisser quand même, c’est un travers sans
lequel ce voyage aurait été bien différent, ils ont donc toute leur place ici.
Rassurez vous, nous avons osé en douté un moment, mais non,
ils n’auront pas réussi à nous dégouter de la voile. La proximité avec les
éléments et la pratique de la navigation auront été notre cachette, ces moments
privilégiés nous ont permis de reprendre pied quand on en avait le plus besoin.
On vient de se faire une bonne partie du Pacifique quand même, merde, on est
super fiers de nous sur le plan navigation, et on ne demande qu’à renquiller!
Tout en étant conscient que venons de terminer la dernière grande traversée de
ce voyage, c’est un peu le cœur gros que j’écris cela mais on n’a pas dit notre
dernier mot, des projets futurs prennent forme, en premier lieu, une abyssale
envie de revanche sur le golfe de Gascogne, ou encore terminer le tour du globe
déjà entamé avec un détour par les canaux de Patagonie et le cap Horn…
Pour l’heure il est temps de remiser nos tenues de quart,
nous avons toute la Polynésie devant nous, les terres de Déborah…
Allez, je vous laisse à la lecture, je vous en ai mis une
bonne couche! La lumière décline, les rideaux s’ouvrent…
19/03, San Cristobal, Galapagos.
Amos est rentré hier en fin d’après midi d’Israël, nous
sommes contents de le revoir. Il apporte avec lui sa bonne humeur et nous
soustrait un peu à la compagnie de Ran qui devenait pesante. Mais surtout, son
retour annonce le départ tant attendu!!!
***
L’agent nous rendra nos passeports tamponnés pour le large à
15h. Le bateau est prêt, plus que prêt. On attend, l’impatience monte… Chacun
gagne sa chambre, tentative de sieste pour tuer le temps. Et enfin le bruit du
moteur du petit bateau taxi se rapproche portant avec lui Olivar (l’agent) et
nos 4 précieuses reliques. Nous émergeons, Amos gueule de joie depuis le
cockpit « OK everyone ,let’s go! ». Branle bas de combat, tous à nos
postes, le moteur démarre au quart de tour, les 60 mètres de chaine sont avalés
par le guindeau, laissant pendre l’ancre vaseuse de 17 jours d’immersion. Moins
d’un quart d’heure après le réveil le petit mouillage de San Cristobal
s’éloigne déjà, partout devant, le Pacifique.
Une raie gigantesque s’envole juste devant nous et manque
d’atterrir sur le trampoline, à l’étrave… Vent 15 Nds, NO, nous filons à 8
nœuds, le logiciel de routage affiche 2980 milles jusqu’à Fatu Hiva… en ligne
droite. Nous en ferons donc bien plus. Le vent retombe en passant entre les
îles Santa Maria, Santa Cruz et Isabella, laissant place à un coucher de soleil
sublime. Nous traversons un banc de raies nageant à fleur d’eau, des bestioles
qui doivent bien taper dans les 2 mètres d’envergures, ventre blanc, dessus
noir, Manta???
***
Pétole totale, moteur, les voiles ont été affalées en début de
nuit. J’ai pris le quart d’Amos en plus du mien, il tombe de fatigue avec le
décalage horaire de son récent voyage. C’est la nuit, mer d’huile, pleine lune,
quelques dauphins (genre la jaquette du film « le grand bleu »), 4h30
de petits bonheurs!
La zone de convergence s’étire loin à travers le Pacifique
selon les fichiers météo. Une fois passé Santa Maria je pique au Sud Ouest
comme convenu, les vents sont plus bas, pas la folie mais un petit 15 Nds SE
qui devraient nous porter au grand largue un bon moment, les alizés du
Pacifique.
20/03
Au matin c’est la surprise, Amos n’en revient pas, il
n’avait jamais vu ça avant, un banc de bonites file le long du flotteur tribord
et saute, comme des dauphins. Il est tentant d’en choper un spécimen pour se le
mettre cru sous la dent. Mais le spectacle est tellement beau et rare que nous
préférons les observer, de vraies torpilles aux couleurs vives, jaunes et
violet réfléchissant. Deb, Amos et moi restons cons devant ces poissons, on en
a tellement mangé, c’est la première fois qu’on les voit « vivre ».
Ran quant à lui… Ran…
Ran à d’autres satisfactions dans la vie que de vulgaires
bonites. Je passe sur toutes les situations de déception, de honte, de rage que
son manque de savoir vivre créer. Nous décelons même un malaise chez Amos
vis-à-vis de son compatriote, sa connerie se révèle à chaque instant, dévoilant
la personnalité navrante, autoritaire et supérieure du personnage. Et je ne
parle pas de religion, dans ce domaine c’est édifiant! L’a la mémoire courte
pépère, il faudrait simplement selon lui débarrasser la vermine musulmane de la
surface du globe… -me vient une citation que je n’ai jamais oubliée, une parole
de Sieur Luc Larboulette, que nous espérons lecteur de ce blog et que nous
saluons ainsi que toute sa famille! Voici : « certains meurent de
leur propre connerie »- Vous me porterez des oranges si il tombe
par-dessus bord?
Je vais tenter de faire en sorte que ce blog reste un récit
de voyage et de navigation, ne pas sombrer dans le soulagement d’y balancer ma
rancœur envers pépère et sa moite effusion de pensées boueuses et étriquées lui
permettant à peine d’apprécier ce voyage. Promis.
Deb finit d’écrire cette journée alors que j’ai posé mon
carnet, je suis à l’honneur :
Tom à enfin craqué, son quart terminé il ne peut continuer
de regarder les bonites s’ébattre joyeusement ainsi autour du bateau, depuis
près de 4 heures que ça dure! Sa motivation est floue et diverse, marre du
poulet, plaisir de pêcher ou impossibilité de voir des poissons frétiller
partout sans en prendre? Il s’est empressé d’aller chercher son kit de pêche et
de monter une improbable ligne de fortune. Atelier montage terminé, ça
ressemble à une canne à pêche, composée d’une gaffe guidant la bobine de fil
et, noué à son extrémité, un trident plombé décoré d’une plume de mitraillette
sacrifiée pour l’occasion.
Tom reprend furtivement l’antenne au bout d’une heure :
Cons de poissons! ‘cassé le cul pour rien…
Conclusion : ce soir on mange encore du poulet, à vous
les studios, à vous Cajard!
22/03
Après tout ça fait partie du voyage… Je sais j’avais promis
mais je ne peux pas faire l’impasse sur tout, il est bon de planter le décor
afin que vous cerniez mieux nos deux acolytes si ce n’est pas déjà fait. C’est
en quelque sorte le festival de la bêtise, un petit florilège qui s’offre à
nous.
Ou alors le problème
vient de nous, on ne peut pas s’adapter à tous les styles de cohabitation…
Probable aussi. Mais ce n’est pas la seule tare qui nous guète, il en est une
bien pire. Nous venons de terminer la lecture de germinal, Maheud aurait dit de
nous que nous sommes des jean-foutre, ceux qui acquiescent en se promettant de
se rebeller la prochaine fois, C’EST NOUS!!! On laisse filer, connement, comme
d’hab’.
Qu’ils sont dociles les deux français de compagnie à leurs
pépères. Ou plus exactement les deux pauvres de compagnie. J’en suis arrivé à
cette conclusion un soir après manger ou on racontait nos aventures dans la
forêt de Shelter et nos projets de voyages à moindre cout, Amos l’a dit :
« finalement je suis un ange pour vous », sous entendu de nous sortir
de notre misère et nous offrir une navigation de luxe… Voilà le genre de suffisance à laquelle il
faut faire face. Et tous les jours des petites piqures de rappel, nous devons
reconnaissance à notre capitaine, à ce « bateau 5 étoiles après lequel il
sera difficile pour nous de rembarquer sur un autre tellement son équipement
est onéreux et dernier cri » dixit son propriétaire. Tout a un prix à bord
et il ne se lasse pas d’énumérer combien chaque objet lui a couté, jusqu'à la
cocotte minute « very Professional » dont nous avons reçu une
formation pour son utilisation. Nous autres pauvres ne pouvions nous douter de
l’existence d’un tel ustensile de cuisine!
Le vice à repoussé les frontières lors de notre dernière
soirée aux Galapagos. Flash back, Amos en rentrant d’Israël nous a ramener une
autre française de compagnie qu’il nous présenté comme un cadeau qu’il nous
faisait, la compagnie de Morgane pour une soirée… Il l’a rencontré en escale en
Equateur et l’a prise sous son aile, en bon samaritain, en lui faisant tenir
promesse : « je t’invite sur mon bateau, mais attention, tu va
rencontrer mes amis (de compagnie) français et tu va passer la nuit sur un
catamaran incroyable, bourré d’options, duquel tu ne voudra plus descendre,
alors tu dois promettre de quitter le bord demain car nous prendrons le
large. » Et toute la soirée il lui rappelé « hein qu’il est beau mon
bateau? Hein que t’a envie de rester? Mais
demain tu devras nous quitter, malgré la douleur, tu as promis! » Regards
inquiets de Morgane, nous avons honte de notre capitaine.
Ainsi s’enchainent les milles, récits de bonnes actions en
guise de bénédicités, quand ils donnent de l’argent aux associations de pauvres
et blablabla… Que c’est beau de pouvoir s’acheter une bonne conduite quand on a
les moyens. Eux qui ne sont pas foutus de faire une vaisselle correctement ou
qui sont capable de te décrocher et de laisser en boule une fringue qui séchait
pour en récupérer les 2 épingles pour leurs propre usage. Par flemme? Ou par
habitude d’être assisté? Et on rentre dans leur jeu à fond, on préfère de loin
se taper la bouffe, la vaisselle et l’entretien plutôt que d’assister au
massacre et de repasser derrière… On est cons, hein?
Dire que chez nous c’est nous les assistés…
23/03
Nous touchons enfin des vents permettant de laisser le
moteur de côté. Seul hic, nous sommes au pré, ça souffle du sud ouest, on
attendait du sud est. Nous rectifions le routage, cap à l’ouest, direct sur les
Marquises, il est décidé que nous sommes suffisamment au sud comme ça.
Le pré est beaucoup digeste en catamaran, à la place de la
gite on se contentera d’une bonne dérive avec un angle allant parfois jusqu’à
50° entre le cap du bateau (le cap compas) et le cap réel, c'est-à-dire qu’on
avance de biais, notre cap réel n’est pas dans l’axe du bateau. Les
connaisseurs de Capelan comprendront facilement. Cette dérive est valable sur
tous les bateaux mais particulièrement ici. Il manque sur cet engin 2 grandes dérives
rétractables comme on peut en trouver sur les Catana ou les catas de sport…
Autre inconvénient, en plus de la sensation de balancier du
à l’enfoncement intermittent du flotteur sous le vent avec la houle, les vagues
qui arrivent à passer entre les deux flotteurs viennent « soulever »
le carré en frappant sévèrement le plateau qui relie les deux coques. Sorte de
hoquet parfois violent mais pas pire qu’une bonne gite en mono pourrissant la
vie à bord.
|
Nos quartiers |
|
Le carré |
25/03
On alterne entre pré bon plein et vent de travers, il ne
veut décidemment pas passer sud est. Qu’en conclure? Maître Jean Ives Bernot à
dit « ne jetez pas le météorologue à la poubelle, c’est que quelque chose
est en train d’évoluer ».
L’enchainement des nuages depuis ces derniers jours laisse
penser à un système dépressionnaire à venir : cirrus puis cirrostratus.
Après un petit croquis et sachant que le vent de sud ouest peut annoncer un
front chaud dans l’hémisphère nord j’ai envie de penser qu’un vent de nord
ouest l’annoncerait dans l’hémisphère sud? Or on a que du vent de sud ouest… Ou
peut être qu’à 5° sud de latitude soit 300 milles en dessous de l’équateur ces
systèmes ne sont pas encore si bien réglés que sous les tropiques?
Pourtant il suffirait, me diriez-vous, de consulter quelques
fichiers météo par satellite via l’ordinateur du bateau. Mais il faut bien
reconnaitre que depuis qu’Amos est venu me sortir de mon lit de bon matin avec
une tête de gamin fautif et prétextant un problème majeur parce que le bougre
d’andouille venait d’injecter du silicone dans son unité centrale pour tenter
de fixer un interrupteur défaillant, l’ordinateur ne plus guère de signe de
vie… Encore un réveil boueux, ça change des réveils de larbins pour changer la
bouteille de gaz… Bref, je m’égare.
Pour revenir sur la navigation en cata habitable, Amos
retient à juste titre notre attention sur le fait qu’un dessalage reviendrait
inévitablement à une fin tragique pour le bateau. Il convient donc de bien
prendre les ris qui conviennent avant de se faire surprendre. Nous sommes porté
par un vent de 15 à 20 Nds, toutes voiles dehors on dépasserait sans difficulté
les 10 Nds, peut être jusqu’à 13. Bon c’est vrai que ça lui tirerai sur la
gueule à ce navire avec ses 4 tonnes d’extra en GO, flotte et matos. Mais de là
à se contenter de ris sur chaque voiles pour un total maximum autorisé de 6,5-7
Nds, ça fait un peu chier, et pour une fois Ran est de notre avis. Est-ce
vraiment nécessaire ou est ce encore un surplus de sécurité du à l’anxiété de
notre capitaine qui ne dort plus la nuit, inquiet d’un vent de 20 Nds?
Difficile de répondre à cette question, pas assez d’expérience en multicoque…
On se demande comment réagirait-il si on prenait une dérouillée comme dans le
golfe de Gascogne. J’imagine cependant vu son CV qu’il a déjà du voir bien
pire. Mais cette anxiété latente le trahi et nous fait nous poser pas mal de
questions.
Pas mal d’incompréhensions aussi. Nous trainons déjà du
matériel cassé depuis deux jours et on ne répare pas parce que « la mer
est mauvaise ». Mouai…
Le lazy jack tribord à cédé, c’est le dispositif qui permet
de guider la GV quand on l’affale (il y en a de chaque coté de la voile) et de
la maintenir sur la bôme, dans le lazy bag. Il suffirait pour y remédier de
grimper au mat jusqu'à la première barre de flèche, environ 4 mètres de haut,
pas la mer à boire, afin de rétablir l’ordre. Mais au lieu de cela on laisse
les bouts cassé s’emmêler là haut en craignant le bordel pour ranger la voile
lors de la prochaine prise de ris.
Le code zéro est remisé de façon discutable également. C’est
la voile la plus à l’avant, une sorte de voile de traction en toile fine sans
la structure rigide que peut avoir le génois grâce à l’étai. Coup de vent, nous
la faisons s’enrouler sur elle-même car elle est astucieusement montée sur
enrouleur et lorsque la manœuvre fut terminée, un petit bout de toile
continuait à battre au vent, nous l’avions mal enroulée. Deb et moi pensions en
rouvrir quelques mètres carré afin de la reprendre correctement mais au lieu de
ça Amos s’est soudain prit d’une panique en ordonnant le démontage de toute la
voile, le visage trahi par une décomposition d’angoisse… Je rappelle à l’auditoire
qu’il y a 20 Nds de vent et 1,5m de houle à tout casser. Donc branle bas de
combat, on relâche la drisse, on fait tomber toute la toile sur le trampoline
par-dessous lequel les vagues nous trempent jusqu’au slip, on rassemble à
l’arrache les écoutes, Deb tente bien d’en faire de beaux paquets lovés mais
apparemment on n’a pas le temps, il faut vite tout mettre en vrac par le hublot
de la soute à voiles…
Je crois que le code zéro va terminer sa trans-pacifique
ici, à moisir en cale, et je ne voudrai pas être celui qui le ressortira car il
y aura surement un sac de nœuds à la clé… On ne se fait toutefois pas
d’illusions, les larbins c’est nous.
La retenue de bôme est également HS. C’est un bout qui relie
l’extrémité de la bôme à un point bien éloigné de celle-ci, ici c’est un taquet
d’amarrage qui fait le boulot. Il est démultiplié par un jeu de poulie et fait
office de hale bas et évite que la bôme se balance latéralement avec le bateau
ou empanne. Pièce défectueuse : une manille cassée. Ils n’ont pas l’air
décidé à réparer. Si bien que quand Ran m’a surpris dans l’improvisation d’un
substitut de retenue de bôme avec un bout il m’a coupé en plein chantier.
Car Ran est comme ça, il nous reprend sans aucune forme
d’explication en marmonnant des ordres d’impatience comme
« attends », « tire », « enroule », ce qui en
plus d’être très chiant est assez castrateur pour la prise d’initiative… Amos
c’est l’inverse, c’est l’usure. Il prend le temps d’expliquer chacun de ses
faits et gestes, tant que ça reste dans le domaine du banal, ce qui se révèle
être gonflant. Avec près de 6000 milles au compteur on se passerait bien d’un
briefing sur l’utilisation d’un winch ou d’un pilote auto, surtout vu le niveau
des commentaires, que du basic. Ces commentaires à propos desquels on nous
demande une attention maximale ne s’arrêtent hélas pas à la navigation, nous
devons donc faire mine de découvrir tous les petits trucs et astuces qu’on nous
livre, comme pourquoi il ne faut pas laisser le pain au soleil, ne pas laisser
la lumière allumée, et j’en passe… Merci Amos, le feu c’est chaud et l’eau ça
mouille! Ces situations virent à la pignonade, Deb ne se gène plus pour entamer
un franc fou rire facial en pleine leçon de bon sens. C’est formidable pour moi
car on me demande toujours à moi pourquoi elle se bidonne…
Ils doivent bien sentir le malaise entre les quelques
moqueries et les coups de gueule, comme hier soir ou Amos m’a saoulé à propos
de ma préparation de bonite en darnes. Alors comme ça il parait que la peau et
les zones sombres autour de l’arrête centrale sont poison… -alors qu’en fait
c’est poisson. Remontrances en chaine car j’aurai du les enlever. Ben voyons,
ça vaut le coup de se faire chier à préparer tous les repas et à se coller
chaque vaisselle… Nous avons fait une gueule de trois km tout le reste de la
soirée…
Si bien qu’aujourd’hui on n’a pas touché une gamelle, sauf
pour la vaisselle du soir. Ran a, de son propre chef, exécuté pour le déjeuner
son deuxième repas et sa première vaisselle en 15 jours, sa deuxième en 40
jours!!! Amos à prouvé au diner qu’il savait faire autre chose que du réchauffé
de conserves et de semoule en se livrant à un pot au feu au poulet! Ran à même
rigolé pendant plus d’une minute! On s’extasie devant ces prouesses inattendues
en oubliant l’essentiel, cela devrait se produire un jour sur deux dans un
embarquement « normal ». Cet effort de leur part ne s’étendra
cependant pas au-delà de cette journée.
26/03
Réveil matin, 9h, j’entame mon train-train, monte dans le
carré, croise Amos, échange de sourires niais de ceux qui ne savent pas quoi se
dire et je pars faire ma tournée dehors. Cela consiste à la récolte de ce que
la houle à apporté sur le pont du bateau pendant la nuit et à en faire le tri.
Les poissons volants à la baille et les calamars, c’est pour bibi! Bonne pêche
ce matin, 7 spécimens d’environ 15cm que j’ajoute une fois vidés au butin des
jours précédents. D’ici demain le stock permettra de se faire une tournée de
petits calamars apéritifs.
Puis petit dèj et prise de quart à 11h. Rapidement je repère
la grosse masse prometteuse sombre qui se rapproche à 8h, ou 240°, enfin babord
arrière quoi. Nous ne sommes pas trop gênés par la houle, je laisse le bateau
s’élancer jusqu’à 8-9 Nds avec l’espoir de laisser ce grain dans notre sillage
sans qu’il nous importune, continuer sa route vers le nord.
Et puis là les deux compères débarquent dans le cockpit, ils
viennent de voir le nuage. Ils se ruent sur les winchs pour prendre le fameux
ris préventif en m’ignorant superbement. Youhou les gars, c’est moi, je suis de
quart! Une fois le ris pris Amos m’explique pourquoi il a diminué la toile,
sans blague, je n’avais pas compris. Seulement maintenant on se traine à 5-6
Nds, le nuage doit bien être à 30 bonnes minutes de nous, cette manœuvre trop
anticipée me fous en l’air toute ma stratégie, on n’a plus qu’à attendre
l’impact…
Ca y est on est dedans, il tombe des cordes, c’est le moment
que choisit Amos pour affaler la GV. Héhé, vous vous rappelez, le lazy jack?
C’est vrai que c’était trop simple de le réparer avant, comme convenu toute la
GV s’est lamentablement étalée sur le roof et le passe-avant en s’affalant,
voilà un boulot à la mesure des 2 français de compagnie! Hisser toute la toile
(c’est lourd) et tenter de la fixer sur la bôme, le tout en équilibre au dessus
du cockpit, sous la pluie. Bon en même temps je râle car cette situation nous
pendait au nez mais nous devons bien avouer que nous prenons notre pied là haut
sur la bôme, ce sont des moments de galère, des épreuves de force, mais pleins
de poésie, au vent, la pluie qui coule sur le visage, ces odeurs mêlées
d’embruns et de caoutchoucs, bouts et tissus gorgés de sel. Dans ce bateau trop
sécuritaire nous ne goutons pas assez d’épisodes comme celui-ci, ceux là même
qui faisaient le « charme » du Mondrian.
La voile est à peu près maintenue, nous nous lançons dans la
réparation du lazy jack pendant qu’on y est. Quelques instants plus tard la
voile est de nouveau dans son lazy bag, lui-même maintenu par le lazy jack,
lui-même relié à la barre de flèche, nous redescendons. Amos nous couvre de
gloire mais cette coulée de félicitations glisse sur nous, emportée par l’eau
de pluie avant de nous atteindre. On l’a un peu mauvaise.
Une autre remarque termine de nous accabler, il est question
du sommeil durement éprouvé du capitaine et de l’utilisation du winch
électrique. En effet, il nous signale que le bruit du winch en fonctionnement
vient troubler la nuit de monsieur. Nous
sommes donc invités à dériver les écoutes vers les winchs manuels, plus
silencieux. C’est effarant, le bateau craque de partout, il est secoué, il
reçoit la houle avec fracas, enfin tous les bruits inhérents à la navigation à
voile, tous plus forts les uns que les autres, et on nous fait encore chier
pour un moteur (électrique) de winch. Vaut mieux rester chez soi si on veut
faire de la voile en silence. Pendant ce temps là la bôme continue à se
balancer dans un grincement très bruyant, comme si on avait une colonie de
corbeaux perchés dessus. Lequel grincement pénible serait facilement résorbable
par le truchement de la fameuse retenue de bôme. Deb s’est enfin lancée en
demandant ce qu’on attendait pour la remettre en service, réponse à la hauteur :
« on s’en passera, il ne faudrait pas l’abîmer maintenant qu’elle est
réparée ».
Bon allez, je vous laisse, il est deux heures du matin,
l’heure pour moi d’aller réveiller Deb pour lui passer le flambeau en lui
signifiant le message que m’a fait passer Amos, à savoir, éviter de prendre des
ris la nuit parce que ça le réveille…
Commentaires de Deb à la reprise de son quart :
Il est incroyable, il a les yeux pochés de cernes mais il
est trop stressé pour dormir, on le voit sans arrêt la nuit. Un coup c’est
parce qu’on chuchote trop fort au changement de quart, un coup en stress parce
qu’il y a eu une rafale à 17nds, il faut prendre un ris, un autre coup parce
que la houle le brasse trop dans son lit, il faut rectifier le cap de 3° pour
atténuer, un énième coup pour remettre un peu plus de génois, à cause du manque
de vitesse il est encore brassé dans son lit, d’ailleurs à cette occasion il ne
se gène pas pour parler fort et utiliser le winch électrique situé juste au
dessus du plumard de Ran, y a pas de soucis… Voilà comment occuper 3 heures de
quart…
27/03
Quel jour sommes nous? J’en ai fichtrement aucune espèce
d’idée, d’ailleurs si on ne tenait pas à jour ce journal de bord on serai bien
incapable de savoir la date… Enfin le fait est qu’aujourd’hui Amos fête ses 60
ans, au milieu du Pacifique le salop, et on nous à donc demandé pour l’occasion
un repas de fête un peu plus relevé que d’habitude à prévoir pour le diner. Ran
demandera des hamburgers…
La journée avait pourtant commencé mollement, de la pluie et
de la grisaille jusqu’au soir, ambiance molle également, ponctuée de coup de
gueule justifié de Deb qui s’est vu faire la boniche pendant son quart, quand
les compères ont, à leur habitude, pris les rennes de son quart en l’écartant
petit à petit du poste de commande en échangeant en hébreux sur les stratégies
de navigation… Déjà qu’on ne voit pas bien l’utilité de quarts attitrés en
journée, si en plus on ne peut pas les assumer, quelle utilité? Gros point
positif de navigation, le vent depuis cette nuit se décale au sud est, se
stabilisant enfin dans le rail des alizés.
… Ce qui veut dire qu’il va certainement falloir, d’ici
demain, aller repêcher le code zéro qui rancit dans sa grotte…
On s’est afférés comme des fous dans la cuisine tout l’après
midi jusqu’au soir, apéro à base de roulés au fromage maison et de calamars à
l’armoricaine autour de la dernière bouteille de vin du bord, du blanc.
Hamburgers et patates sautées et enfin tarte tatin avec glace vanille. Encore
les honneurs! Ca a relevé de niveau de l’ambiance d’au moins 5 points,
concluant cette journée plus humainement qu’à l’accoutumée. Ca fait du bien.
28/03
Encore une journée simple sur les plans relationnel et
émotionnel. On a ressortit le code zéro, je m’attendais à ce que ça se passe
mal… of course!
On en arrive à se demander si Amos à bien le passé de grand
navigateur qu’il veut bien se prêter. Trop d’incohérences, à ce stade ce ne
sont même plus des détails, disons que si je n’avais pas de respect pour lui je
dirai que c’est marin d’eau douce, au sens propre du terme. Il maîtrise la mer
plate comme Loeb maîtrise sa voiture, rien à redire, mais dès que ça monte un
peu, je dis bien un peu, on est très loin du gros temps, il se crispe
d’inquiétudes. Et si je ne le respectais pas du tout, mais alors pas du tout,
je vous inviterai à vous procurer son dernier bouquin, the story of le nom du bateau, que Bruno (papa) à déjà
repéré sur Amazon. Hop là, ne cliquez pas si vite, n’aller surtout pas
l’acheter, c’est un recueil de m’a tu vu, une succession de photos de son
bateau sur 100 pages, listant ses ô combien systèmes de navigation dernier cri
et hors de prix. Quelques lignes d’écriture viennent terminer le boulot, il est
question de la préparation d’un bateau pour un tour du monde, nous tiquons sur
un détail qui le caractérise bien : 15 lignes pour la liste de fournitures
alimentaires et 2 pages pour la listes de médicaments et soins. Nous en avons
un exemplaire, nous essaierons de le rapporter.
Oui. Donc on se pose des questions, encore un magnifique cas
de quasi désespoir, un imprévu mettant notre capitaine dans une transe
d’épouvante. Et encore, j’ai la prévenance d’employer le mot imprévu. Toujours
ce code zéro.
Dès le matin on se met en place pour hisser la bête noire,
comme convenu des sacs de nœuds, Ran à la gentillesse de se coller au démêlage
des écoutes pendant que je le hisse avec Amos. Mission terminée avec succès, la
voile est à nouveau en service. Jusqu'à ce qu’Amos trouve, certainement à juste
titre, que le bout de l’enrouleur est un peu juste, il ne permet pas à la voile
de faire assez de tours sur elle-même afin que ses écoutes, une fois repliée, s’enroulent
en spirales autour d’elle pour la maintenir fermement.
|
au premier plan, l'enrouleur de génois (avec étai), derrière
celui du code zéro, la voile s'enroule sur elle même. |
NDLR. Petite pause
technique à l’attention du lecteur, l’enrouleur. Ce n’est ni plus ni moins
qu’une grosse bobine de bout, protégée par un cerclage, ou ici, des barreaux
qui en font le tour. Il est fixé à la base de la voile et avale le bout quand
on ouvre celle-ci, le faisant s’enrouler autour de la bobine, puis enroule la
voile quand on tire sur le bout. Il faut donc faire en sorte pour qu’elle
s’enroule d’avantage de lui donner plus de fil sur la bobine. Nous avons déjà
fait cette manœuvre plusieurs fois, sur le Mondrian et le God Speed Mary, voile
fermée, soit en démontant les écoutes et en les faisant tourner de quelques
tours autour de la voile, soit en désolidarisant le bout de l’enrouleur afin de
lui rajouter des tours. Mais jamais voile ouverte en faisant faire des tours d’enrouleur
à tout le paquet de bout (25m) en forçant entre les barreaux et l’enrouleur.
C’est pourtant la solution qu’à choisit Amos, me demandant
de l’aide tant la tâche était pénible. Je me suis exécuté en me disant bien que
cette manœuvre semblait cavalière, mais bon, je suis là pour apprendre, je ne
vais pas être déçu! Je me permets
cependant une petite réflexion que je garde pour moi, on pourrait décrocher l’enrouleur
du point d’encrage sur la voile pour lui mettre quelques tours en plus (en
ayant pris soin préalablement d’arrimer la voile par ce point et de relâcher un
peu sa drisse)…
En fin d’après midi,
après une folle journée de navigation sans encombres à 2-3 nds, il est décidé
en haut lieu que, le vent s’étant levé à 13 nds, il fallait rentrer dans
l’urgence la plus extrême le code zéro.
Cette décision étant prise naturellement alors que nous sommes au lit et
douchés après nos 6 heures de quart. Naturellement toujours, la modification
apportée à l’enrouleur à aboutie à un bon gros nœud entraînant l’indisposition
au travail de ce dernier. Enfin, depuis notre lit ou le calme revenait, nous
perçûmes tel un ours qui frappait sur notre lanterneau, un appel à l’aide de
première urgence! Nous accourons donc en petite tenue pour le sauvetage de la
voile, ou plutôt du capitaine car la voile n’est absolument pas en danger
immédiat, juste bloquée ouverte par 13 nds de vent. Le capitaine en revanche à
la tête des grands jours, en pleine épouvante, doux jésus, on va tous y rester,
mon dieu mon dieu, vite bâclons tout, affalons la voile, bourrons là comme la
dernière fois dans sa soute, vite, plus vite, seigneur… Je me permets quand
même de tenter effrontément une réparation simple, désolidariser le bout de
l’enrouleur, défaire le nœud, refaire quelques tours et fixer le bout… A la seconde où j’ai commencé à défaire le
nœud, Amos s’est mis à crier comme si je lui arrachais une couille, inconscient
que je suis, c’est vrai qu’il y avait danger, ça aurait pu ouvrir la voile!
Seulement elle est déjà ouverte en grand… La pression monte, je regarde Déborah
qui s’affère à tenter de lover l’écoute avant le stockage, nous transpirons
comme deux putes dans une église. Le coup de grâce, enfin, la voile étant
affalée, le « danger » éloigné, Amos ne relâche rien et presse tout
le monde de se dépêcher, c’est pourtant le bon moment pour soigné le pliage, ce
que fait Déborah avec les écoutes. Mais face à l’impatience des compères, Ran ordonnant
« give, give, give » et Amos tirant sur le bout qu’elle enroulait en
la trainant sur le filet, elle à semé le trouble en leur balançant son travail
à la gueule et en partant sans ménager ses mots. Aucuns des deux n’a daigné
s’excuser ensuite, Amos n’osant plus la regarder dans les yeux….
29/03
On nous a finalement confié le démêlage et le rétablissement
du code zéro, opération effectuée sous l’inspection et en contradiction avec
Amos, mais enfin, il est monté et il ronronne!
|
Chaque soir un festival dans le ciel en feu |
Nous profitons de la bouteille de blanc vide pour y glisser
un message et un bracelet fait par Deb afin de motiver une future
correspondance et la balançons par-dessus bord à cette position : 7°36’S,
112°20’W. Amos trouvant cette idée sympathique nous tend plusieurs de ses
cartes de visite que nous faisons mine d’y joindre, elles sont bien parties à
l’eau, mais malencontreusement hors de la bouteille… Trop facile!
Mes lunettes de soleil reposent également au fond de cet
océan, arrachées de ma tête par une écoute rebelle. Ironie du sort, je pense
qu’à 4km de profondeur elles n’auront plus le loisir de filtrer les UV… Je me
demande combien de temps la descente à put durer? Et si ça se trouve elles sont
tombées sur le museau d’un requin de la mafia? Quelques instants d’oisiveté
nous permettent de temps à autre de laisser aller nos esprits à ce genre de
questionnements. Pas plus tard que récemment, en balançant mes coques de
pistaches à l’eau et évaluant leur vitesse à, disons, 2 mètres/minute, je me
suis surpris à m’imaginer leur fabuleux voyage d’une trentaine d’heures vers
les profondeurs. Y a de quoi méditer, non?
31/03
Le train-train suit son cours à bord, la routine s’installe.
C’est pourtant exactement ce que nous avons toujours tenté d’éviter au maximum,
en camion ou en voyage, les horaires réguliers et la redondance des tâches
journalières, réglées à la minute avec une précision d’horloger. Mais je dois
reconnaitre que la routine à ceci de bien, elle permet de renouveler la besogne
jour après jour sans se poser aucune question, le cerveau vierge de toute
réflexion superflue, ce qui est finalement plus simple pour se consacrer
pleinement au larbinage…
La journée se déroule donc comme suit : réveil, récolte
de calamars (qui se font de plus en plus rares), petit déjeuner et prise de
quart à 11h pour moi, relevant Amos. Deb se réveil à peu près à cet instant,
elle peut donc après son café se consacrer à la confection du déjeuner. Ce qui
sort Ran de son lit un peu avant midi, Amos ayant déjà regagné le sien. 13h02,
a table! Je me charge ensuite en alternance avec Deb de la vaisselle. 14h, fin
de mon quart, Deb prend le relai. C’est l’instant larbinage ou Amos me prépare
une liste de choses à réparer, à inspecter, à astiquer,… Des fois je fais du
zèle, il n’y a plus de boulot pour le lendemain. 17h sonnent en nous libérant
enfin du temps de présence dans la zone de vie commune, nous filons dans nos
quartiers sans demander notre reste jusqu'à 19h, ou nous remontons pour
préparer le diner qui sera ingurgité à 20h18. Nous assumons la vaisselle du
soir et redescendons, je reprends le quart de 11h à 2h suivi de Deb jusqu'à 5h.
La routine gagne également les quarts nocturnes car il n’est plus besoin de
préciser qu’Amos dort mal et qu’il apparait sans cesse pour rectifier le cap de
2° afin de… on ne sait toujours pas vraiment pourquoi car l’incidence est
imperceptible.
Quand à la météo, toujours dans les Alizés de sud est, plus
ou moins bien orientés selon les bascules de vents dus aux grains. La houle ne
se lève guère au-delà de 2 mètres, et le vent n’a jamais forci au dessus de 20
nœuds depuis le départ. La routine jusque dans la navigation…
Nous assistons impuissants à notre baisse de moral, il
suffit de relire notre récit pour s’en convaincre, nous baissons. J’ai tout
juste assez d’humour en stock pour citer Desproges : « je
baisse, anormalement essoufflé dans certains escaliers trop raides ou dans
certaines femmes trop molles, je baisse ». Je crois que ce qui nous navre
le plus c’est de réaliser qu’on est en train d’accomplir l’un de nos rêves les
plus chers, et que d’autres donneraient cher pour être à notre place. Quelque
chose cloche, il va falloir nous reprendre, à ce rythme, même le lecteur va
décrocher.
01/04
1er Avril, pas l’ombre d’un poisson, dans tous
les sens du terme.
Car il faut bien noter que la seule prise jusque là,
pourtant pas glorieuse, est une bonite de 25cm que j’aurais volontiers relâchée
si la force de la traine ne lui avait pas arraché la tête, le corps maintenu
par la seule arrête centrale, les tripes
à l’air… Même sa dégustation était controversée… Une seule bonite même pas
maillée en 13 jours, y a pas de quoi se vanter! Heureusement, le congélateur
est plein de poulet, on nous en sort tous les jours, chaque soir, la limite de
l’overdose est proche… Nous sommes cependant satisfaits d’avoir trouvé chaque
fois un accommodement différent, là ou Amos et Ran se contente d’une recette
unique. Ne les accablons pas trop, c’est déjà une preuve de moindre
participation!
Deb relève le niveau, en ouvrant le carnet ce matin je
trouve son récit de la nuit intitulé « poisson d’avril » : Il
est 4h, je suis tranquillement en train de faire mes étirements nocturnes
habituels lorsqu’un bruit retentit. Qu’est ce qui se passe, on à touché? Touc
touc touc, je regarde, non, c’est un poisson volant qui vient d’atterrir dans
le cockpit, sur la banquette. Il se trouve juste au dessus du hublot ouvert de
la chambre de Ran, lequel se situe juste au dessus de son lit, et de sa tête.
La petite bête s’agite, agonisant la bouche ouverte et me regardant de ses yeux
globuleux, les ailes déployées. Moi, bonne âme charitable voyant le gag venir,
j’essaie de tenter un sauvetage pour le remettre à flots pendant qu’il est
« frais ». Il faut relever que
je n’aime pas du tout manipuler les poissons! Première tentative, à peine je l’ai
saisi, paf, il tombe sur le sol, sous la table, ça va être encore moins
évident. Je le fais pivoter avec le bout de la lampe afin d’avoir une bonne
prise par la queue, le chope, et le laisse retomber à nouveau sur la banquette,
à mi chemin de la libération! Recommence, et voilà, éjection réussie par
l’endroit le moins évident, à l’arrière entre le bateau et l’annexe, fallait
pas le louper! Je suis toute fière de moi, j’ai la main qui sent le poisson! Entre
temps la lumière de Ran s’est allumée, d’habitude il a le sommeil facile, c’est
étrange. Et le voilà qui déboule, une heure d’avance sur son quart, quand je
lui demande s’il n’arrive pas à dormir il me marmonne une réponse en se
dirigeant vers la cuisine, préparer son café, rituel de prise de quart… Je lui
raconte mon sauvetage et l’aubaine qu’il à de n’avoir pas partagé son lit avec
un fretin couvert d’écailles. Il regarde alors sa montre et disparait dans ses
quartiers sans piper mot… En repensant à cet épisode plus tard je percute enfin,
amusée : le frétillement du poisson
à fait un bruit similaire au signal du changement de quart, quand je frappe à
sa porte lors des oublis de réveil, déclenchant ainsi machinalement son train-train
matinal. Je m’aperçois également que je viens de relâcher un poisson volant
d’une taille raisonnable (ils sont très petits pour l’instant dans le
Pacifique), Tom en aurait bien fait son affaire, il va surement m’en vouloir.
Mais il aurait fallu le tuer et le vider, ça aurait été une autre histoire…
02/04
Ah, l’écriture et les quarts de nuit… Je commence tout de
suite par un étonnement alors que je viens de radouber ma garde robe et
d’enverguer une polaire (ces termes succulents sont de Joshua Slocum), le
thermomètre affichant 27,3°… Je crains fort que nous ayons pris le pli de ces
latitudes et qu’un retour précipité vers l’Europe ne nous soit fatal. Tant
mieux, c’est pas l’heure!
Les Marquises se rapprochent doucement, encore 1243 milles.
Une option sur le GPS que je viens de consulter me donne à réfléchir depuis un
moment. Il s’agit de l’affichage du jour et de l’heure d’arrivée prévue, gadget
qui selon moi n’a rien à faire sur un bateau (enfin je crois, quelle utilité?),
d’autant que cela fait 4 jours que le compteur affiche 11 jours restants. Le
savant calcul qui se cache derrière le résultat est directement fonction de la
vitesse instantanée, si bien que dans la même minute l’arrivée est prévue
tantôt dans 14 jours, tantôt dans 9 jours, selon que l’on monte ou que l’on descende
la vague. Et c’est avec un certain amusement que nous voyons Amos, les yeux
rivés sur l’affichage, montrant à intervalle sa joie ou son impatience avec le
même rythme que la houle ou les sautes de vent. Marc, sur le Fleur de Lotus, se prenait également
de passion pour cette option qui pourtant le trahissait systématiquement. C’est
aussi con que si les concurrents du Vendée Globe aussitôt après le départ de
l’épreuve se servaient de ça pour savoir leur date d’arrivée et prétendre à une
victoire…
L’équipage est plus que jamais divisé en deux parties, ne se mélangeant que pour partager les repas.
Voilà quelques jours que nous n’avons engagé de conversations autres que celles
de surface visant à rapprocher le pot de sel ou à donner son avis sur la température
des spaghettis que l’on tient au bout de sa fourchette. En d’autres termes, les
échanges sont nuls! De notre coté, même si on en avait le cœur, nous ne
saurions pas quoi leur dire, et de leur coté, cœur ou pas, ils n’ont pas l’air
de savoir comment amorcer la conversation non plus. Amos se mouille pourtant
quelques fois en lançant à la cantonade des affirmations à base de « moi
je » qui, hélas, ne créent pas l’étincelle… Je cite : « quand
j’étais plus jeune j’étais ceinture noire de karaté » ou encore
« avant j’étais instructeur de tir à l’arme à feu ». Nous lui rendons
quand même un « hum » ou un « ah » histoire de ne pas le
décourager. Amos est comme ça, c’est en lui, il aime se lancer des fleurs mais
ne s’intéresse guère au botaniste. Je dois toutefois reconnaitre qu’il essaie de
ne pas nous perdre définitivement, il est au moins aussi mauvais que moi pour
le dialogue de « reconstruction », mais il essaie, alors que nous
nous enfonçons dans un mutisme peu glorieux en entretenant une saturation du personnage.
Deb est encore plus atteinte que moi, au bord de l’asphyxie; il y a pourtant
dans l’air le vent d’une possible récupération mais je m’en sens à peine la
force. En fait, de nous 4, c’est Ran qui créer la surprise, personnage avec qui
ça avait pourtant mal commencé mais avec lequel nous parvenons à des semblant
de discutions. Celles-ci naissent quotidiennement lorsqu’on se croise tous les
trois, avant de faire à manger, c'est-à-dire vers 18h14 dans notre planning
routinier, et s’éteignent au bout des quelques minutes, soufflées par notre
manque d’ambition commun. A croire qu’il est plus facile de trouver du bon chez
celui que l’on a d’abord détesté que de rendre de la crédibilité à celui qui
nous à déçu. Ou alors est-ce là l’effet de l’attendrissement depuis que l’on a
su que les cicatrices qui lacèrent et déforment son ventre sont le fruit d’une
rafale de tir ennemi alors que papy était encore réserviste pour l’armée
israélienne? Et que c’est cet épisode sombre qui l’a poussé à s’intéressé à la
voile plutôt qu’a l’uniforme.
Quoi qu’il en soit le résultat est là et il n’est pas du
tout encouragent, il décline! L’échec humain est assez douloureux, ligne après
ligne je dépeins les erreurs et aberrations constatées mais il faut bien rappeler
que l’équipage compte 4 personnes, toutes aussi butées les unes que les autres.
En attendant qu’il nous pousse des ailes de rétablisseurs de torts, la solution
la plus agréable serait d’avoir un Siméon avec nous, le beau parleur qui unie
les âmes!
Alors si je ne suis pas capable et si je n’ai pas la force
de tenter la réunification Israélo-vendéenne (merci Yannick) pendant mes heures
d’astreintes, je me venge en passant le reste du temps à mâchouiller mon
crayon, assis en tailleur sur mon lit, pour écrire ou peaufiner des
aménagements de véhicules habitables, gribouillant sans cesse de petits
mécanismes audacieux qui me font entrer dans des transes d’autiste… Ronan,
tiens toi prêt, lors de nos retrouvailles une nuit complète de débriefing aux
plantes médicinales sera nécessaire afin d’unir à nouveau nos ondes cérébrales
autour de projets en fer!!!
03/04
La roue tourne. Réveil tardif, j’apparais sur le pont à 11h,
pour ma prise quart. Amos m’annonce qu’il à enfin attrapé un poisson au petit
matin, une daurade coryphène! En ouvrant le frigo je découvre la bête, 34
malheureux centimètres, toute chétive, un menu fretin que j’aurai surement relâché,
mais maintenant qu’il est raide… Ma consternation redouble en constatant que le
poisson n’est pas vidé, Amos m’attendais
justement pour me confier la tâche… Ah? C’est trop d’honneur! Ma
tentation est grande d’en faire une glace au carpidon…
***
Ah l’écriture et les quarts de nuit disais-je… C’est comme
Capri, c’est fini! On a jugé que je ne prêtais pas assez d’attention à la
navigation lorsque je me livrai à l’écriture au clair de lune. Cela mérite à
peine d’être relaté tant cet épisode est banal, mais comme il est le fruit d’une
première dispute, j’va vous l'conter! 2h du matin, nous progressons dans le noir,
grand silence à bord, je suis en train d’écrire… Amos s’inquiète soudain à la
vision de son anémomètre de chevet, sort de son lit et me saute à la gorge, le
vent est à 17 nds, il faut prendre un ris, je suis inconscient. Ce à quoi je
réponds qu’il lui suffit de lever le nez pour constater que le ris est déjà
pris, je ne l’ai pas attendu, et que, merci, mais voilà 3 heures que je suis de
quart, j’ai bien noté l’évolution du vent, je ne suis pas du tout pris de
court, qu’il peut dormir tranquille. Et le voilà qui revient à la charge, me
rappelant qu’en 7 minutes nous pouvons heurter un cargo, la veille doit être
méticuleuse et non partagée avec l’écriture. Il m’avoue qu’il ne se sent pas en
sécurité dans ces conditions… C’en est trop, il m’enrage, j’éclate! Je lui
balance ses excès de sécurité, son histoire bidon des 7 minutes, et que s’il ne
dort pas parce que je ne lui procure pas la sensation de sécurité qu’il attend,
il peut prendre mon quart, je dormirai bien, moi! Sans déconner, on a des
alarmes en pagaille, anticollision, radar, lequel capte un bateau jusqu’à 48
milles, même si nous n’utilisons que la résolution à 12 milles, on a largement
le temps d’esquiver, bien plus de 7 minutes. Faites ce que je dis, pas ce que
je fais, lui qui occupe son quart matinal à la fabrication du pain et à la
lecture. Je ne dis pas que c’est dangereux, à mon humble avis on peut s’oublier
à la lecture ou d’autres activités lorsqu’on navigue en plein océan, tant qu’on
est à l’écoute du bateau et de la navigation. Le ponpon, que je me permets de
lui rappeler au passage, c’est qu’à ma prise de quart j’ai trouvé un capitaine
entre deux eaux, les yeux bien clos. J’ai commencé mon quart en le laissant à
coté de moi, c’est au bout de quelques minutes, lorsque j’ai allumé la lumière
qu’il à émergé… Mais il continue à nier qu’il dormait… Alors même si l’échange
à été vif, il n’en reste pas moins capitaine, je m’exécute et repose ma plume
en broyant du noir.
Le projet initial est lourdement remis en question de notre
côté. Je rappelle que nous nous étions engagé à rester à bord jusqu’à Tahiti,
alors qu’on nous avait vendu une croisière de rêve avec escales aux marquises, Tuamotu,
Bora Bora, et enfin Papeete. Seulement le programme évolue, nous n’irons pas à
Nuku Hiva (l’île des Marquises ou Deb à vécu 2 ans) car un fait divers vieux de
6 ans inquiète nos hôtes, il y est question de cannibalisme. Nous en rigolons
mais ils craignent que cela ne soit une tradition… Navrant… L’autre fait est
qu’Amos soit rentré en Israël, nous perdons une semaine sur le planning. Je ne
me permets pas de critiquer la raison de cette absence, cas de force majeur,
mais Ran ayant déjà réservé son avion pour son retour le 23 à Tahiti, nous
mettons une croix sur Bora Bora et peut être aussi sur les Tuamotu. Depuis le
départ nous avions prévu une fois à Papeete de retourner sur nos pas vers les
Marquises, ce qui fait que ce voyage devient un convoyage plus qu’une
croisière, la seule escale prévue est à Fatu hiva, pour quelques jours
d’entretien de bateau et d’avitaillement. Nous voyons d’ici le larbinage qui se
profile! Pour résumer, si on va jusqu’au bout c’est uniquement pour rendre
service à Amos, alors pourquoi ne pas s’épargner un aller retour et descendre
aux Marquises? L’idée mûrit!
|
Amos se lance dans la grande cuisine en nous dévoilant les secrets
de son poulet cuit dans un sac en plastique au four... |
05/04
C’est le grand jour, nous ne sommes plus qu’a 700 milles de
notre première (et dernière?) escale. Journée maussade, Deb à des humeurs
sombres, l’orage se dévoile à travers ses yeux noirs laissant échapper quelques
averses quand son baromètre interne décline. De mon côté, je m’évade en me
perdant dans un rêve : faire deux tours morts et une demie clé sur cet
embarquement le temps d’une journée pour le remplacer par un équipage constitué
de la fine fleur de notre entourage. Merde, il faudrait un grand navire car
autant que je puisse imaginer, tous les lecteurs de ces lignes en font partie,
soit! On serait tous ici, au milieu du Pacifique, baignés dans le soleil et les
embruns, écoutant Bob Marley à fond la caisse et dégustant un apéro bien
costaud, un bon apéro bien cru qui nous ferait sombrer dans la beauferie, on en
viendrait à mélanger chansons paillardes et chansons de marins dans la joie et
l’ivresse, et enfin on se jetterait tous à la baille après avoir mis en panne…
Nos deux états sont
critiques, il est temps, nous nous décidons enfin de remédier à notre travers
en éclairant Amos sur notre projet d’abandon. Le pauvre, je m’attendais bien à
le décevoir, il ne voit rien venir et ne semble même pas remarquer notre manque
d’enthousiasme progressant… Il tombe de son propre sus lorsque je lui laisse le
choix entre se trouver un autre équipage aux Marquises ou assumer le fait que
nous convoyons son bateau et que nous larbinons, en nous versant un salaire…
Nous lui livrons les multiples raisons qui nous poussent à cela, et nous le
laissons dans le silence nocturne de son quart, seul, s’aiguiser le cerveau
pour trouver une solution.
Et de solution il n’y en a qu’une, en le retrouvant pour la
relève deux heures après, il me propose de prendre en charge la nourriture
qu’il nous reste à lui verser plus celle à venir et enfin de nous verser 300$ à
l’arrivée. Cela va chercher en tout dans les 800$. Disons que si l’histoire se
déroulait dans la banlieue de Maubeuge, on aurait trouvé ce geste un peu léger,
mais considérant qu’on est en train de traverser le Pacifique, on ne peut quand
même pas en demander trop. Je lui notifie que nous apprécions beaucoup son
geste et la considération de notre malaise. Le message est passé très
clairement, à tel point que notre routine s’en trouve changée, les tâches sont
partagées, Ran à du être invité à mettre du sien, et nos tâches quotidiennes
sont annulées… On est partagé entre la
satisfaction et le regret de ne pas avoir ouvert nos gueules avant… On est con,
hein?
07/07
Maintenant que je
suis pleinement dévoué à l’observation de la plus stricte obscurité durant mes
quarts, je passe 3 longues heures chaque nuit assis devant la barre à roue à
voir défiler les milles en espérant croiser un bateau pour avoir un peu de
réflexion, et qui sait, un peu d’action? Mais nous croisons seulement un bateau
par semaine en moyenne, ce qui est déjà énorme pour un océan comme celui là.
Donc je suis avachi derrière cette batterie d’instruments de navigation et mon
regard fatigué se perd, hypnotisé par les mouvements circulaires des rayons de
la roue… Quand soudain à coup… PAF, en m’appuyant sur la roue, celle-ci ne bouge
plus après avoir émit un dernier petit râle, complètement désolidarisée de la
tringlerie des safrans. Pas de panique, le pilote mène toujours la danse, et je
me dis tout de suite qu’en cas d’urgence, nous disposons de deux moteurs, un
dans chaque coque, on peut donc très facilement se diriger en jouant avec.
Petit tour d’inspection dans les entrailles du bateau : le bout qui relie
la tringlerie à la barre n’est plus tendu, il doit être cassé dans une gaine.
Zut, gros chantier en perspective; Youpi, un peu d’action! Il me faut cependant
l’agrément du capitaine que je ne tarde pas à réveiller. J’en prends pour mon
grade pendant cinq minutes, je me garde de lui faire remarquer que ça ne serait
pas arrivé si j’avais été occupé à l’écriture. Quand les remontrances cessent
enfin nous pouvons nous atteler à la réparation, le bout est bien cassé dans sa
gaine, il va falloir ramper dans les méandres du bateau, se glisser à plat
ventre dans la soute pleine de coulées de gasoil, tel un mineur avec sa
frontale, craignant le coup de grisou d’une digestion difficile. Quand
« j’arrive sur la zone » je suis complètement souillé, c’est très
exigu, je constate vite le problème et annonce à Amos la liste des outils qu’il
va me falloir : un tournevis. Pif paf pouf, démontage, réparation,
changement de bout, remontage, je m’extrais, les avants bras rougis par la
fibre de verre sur laquelle je me suis frotté tout ce temps. Nous contemplons
le bout cassé une fois la situation rétablie, et je suis finalement déclaré non
coupable, le bout étant rongé par l’usure. Pourtant ce bout est en kevlar, on
ne manque pas de m’indiquer qu’il s’achète 400$ les 10 mètres (même si j’en
doute) et qu’il résiste à une traction de 20 tonnes! La preuve! Enfin je
commence à cerner la philosophie de notre capitaine, même si je n’y adhère pas.
Il a déjà en stock, outres des bouts de kevlar coupés et épissurés à la bonne
longueur pour cette panne précise, les photos de chaque poulie, chaque galet
que rencontre ce bout sur sa route afin de pouvoir étudier la source de la
panne… Il doit avoir en soute de quoi fabriquer un deuxième bateau comme le
sien et un document fait maison avec photos pour chaque détail technique de
chaque pièce qui se trouve à bord. Si je me laisse aller à dépeindre
l’obsession sécuritaire de ce personnage, j’ai maintenant une profonde
admiration pour sa prévoyance.
08/04
Et si je vous parlais un peu de navigation pour changer?
Avec tout ça on en oublierait presque que l’histoire se déroule sur un bateau.
En même temps, c’est pas avec ce qui se passe dehors que je vais pouvoir vous
tenir en haleine pendant un mois!
Ces derniers jours ont vus la GV descendre de ris en ris,
pas à cause d’un vent soutenu, au contraire,
pour laisser un peu d’air caresser le génois, le vent se tournant de
plus en plus vers l’arrière et cachant le génois derrière la GV. Comme cela ne
suffisait pas à garder nos voiles gonflées, nous avons largement dévié notre
cap, jusqu'à 60°, avec la perspective de tirer des bords en vent arrière. A
notre demande d’affaler la voile pour laisser le génois travailler seul en
reprenant notre cap, Amos répond par la négative en nous expliquant que cela
mettrai trop de poids vers l’avant, le bateau risquerai un planté d’étrave.
Nous échangeons un regard moqueur avec Deb, l’anémomètre plafonnant à 15 nœuds,
sans être expert il me semble qu’on a beaucoup de marge. De son côté Ran lance
l’idée de mettre en place le gennaker, négatif toujours, au motif que l’on ne
peut pas savoir si le vent sera stable. D’une part cela fait 2 semaines qu’il
est stable, et d’autre part c’est un peu le principe de la navigation à voile…
M’enfin, nous voilà bien hors route
après quelques milles, il faut tirer un bord. Nous ne mettrons que 2 heures à
recouper notre trace de routage, après quoi nous revirons de bord
immédiatement. Plein d’entrain je questionne le capitaine s’il ne vaut mieux
pas tirer des bords plus longs??? Non, c’est mieux d’en tirer pleins de petits
afin de ne pas trop s’éloigner du routage… Je ne sais pas si cette stratégie
vous rappelle quelque chose? Pour nous elle claque dans l’air, nous remémorant
instantanément des heures peu glorieuses de navigation : c’était
exactement la manière de naviguer de Philippe dans le golfe de Gascogne, suivre
le routage à tout prix, qu’importe le vent et le courant. Les bords s’avérant rapidement inefficaces en
rentabilité, il est finalement décidé de tout affaler et de faire route au
moteur.
Il faudra attendre la
navigation de nuit d’avant-hier ou j’ai délibérément et effrontément ajouté au
moteur la force de traction offerte par le génois ouvert de toute sa toile. Il
bosse extrêmement bien, tenant même gonflé lorsque le vent fait de petites embardées
du mauvais côté, nous gagnons 1,5 nœuds, toujours au bon cap. La réussite est
telle que je laisse tout en place en me disant qu’il ne serait pas trop
difficile d’en assumer les actes. Pas besoin d’en arriver là, le lendemain
matin Amos reconnait que l’option était intelligente, ma modestie en prenant un
coup au passage. Ah, ça fait du bien par
où ça passe! Voilà maintenant 2 jours que nous conservons cette configuration,
moteur coupé on tient les 5 nds, c’est très honorable.
Hélas le vent rechute depuis cet après midi, le gasoil
recoule à nouveau dans les circuits pour aider un peu, nous naviguons sur un
véritable lac, plus que 380 milles!
10/10
Prises de la dernière chance… Ca a commencé hier, au bruit
que l’on avait presque oublié, celui du frein du moulinet qui chante vivement,
signalant que le leurre qui nage à une centaine de mètres derrière nous se
trouve dans une situation peu enviable, dans la gueule d’un poisson. Et quel
poisson! En remontant la ligne nous avons vite compris que l’hameçon n’avait
pas fait son travail, mais un poisson saute quand même derrière le leurre, et
plus nous remontons ce dernier, plus on aperçoit la bête, jusqu'à 3 mètres
derrière le bateau elle suivait encore sa victime. Au début j’ai pensé à un barracuda
d’une bonne taille mais je crois qu’Amos et Deb avaient raison, il s’agissait
plutôt d’un petit requin, d’environ 1,20m. Celui-ci à filé avant que je n’ai eu
le temps de le photographier, ni avant qu’Amos ai la présence d’esprit de lui
redonner du fil pour jouer avec lui…
Même fausse prise ce matin, je maudis les hameçons simples.
Nous n’avions quasiment aucun raté dans l’Atlantique avec des hameçons en
trident. Ceux que nous avons laissent trop de chance au gibier!
Rebelote, très
puissant départ cet après midi, le fil est partit à toute vitesse, j’ai resserré
le frein pour ferrer, ça devait pas être le bon mode opératoire car même à fond
le frein ne pouvait retenir le fil, la
canne pliée en deux, puis au bout de quelques secondes le crin à naturellement
cassé… Damned! Il devait être bien en chair celui là! Cet épisode m’a cependant
permis de m’enfoncer un peu plus dans la connerie puisqu’en relevant la canne
j’ai formidablement mené le fil jusqu’aux pales de l’éolienne, laquelle faisait
si bien son boulot qu’elle à sectionné le crin qui la reliait à ma canne en
continuant inlassablement à tourner, avalant et faisant une bobine autour de
son rotor avec l’autre extrémité du fil, celui qui traînait toujours dans
l’eau. Alors à cet instant seulement est arrivé quelque chose d’extraordinaire!
Il faut imaginer la scène, Amos, dans toute sa splendeur face à cette situation,
pris d’une panique invraisemblable s’est mit à tourner en rond dans le cockpit,
décrivant un cercle d’un mètre de diamètre, portant les mains tantôt vers le
ciel, tantôt sur sa tête, criant comme s’il venait de voir un proche assassiné,
empêchant ainsi toute concertation sur la décision urgente à prendre et nous
couvrant de ses cris, véritables spasmes à la limite des sanglots. Il lui aura
fallu de longs instants avant de déclencher le frein de l’éolienne pour que je
puisse grimper au mât de celle-ci afin de
la libérer. L’opération s’est finalement très bien déroulée, je retiens
qu’une fois en haut du mat j’ai demandé un couteau à Amos, il m’a apporté un
couteau à beurre, véridique! En redescendant, notre capitaine a le culot de
nous féliciter en déclarant que lui et moi formions une très bonne équipe dans
les situations de crise.
A l’heure où j’écris ces lignes nous ne sommes plus qu’à 100
milles de notre escale, nous sommes dans la « phase d’approche »,
laquelle à commencée il y a 150 milles, elle consiste à un redoublement de
vigilance, à une résolution maximale des alarmes et à une veille
renforcée… Nous sommes las d’entendre
répéter les nombreux dangers qui nous guettent, las de nous prêter à cette mise
en scène théâtrale d’une navigation à hauts risques… Il est temps de descendre
du bord pour un long moment d’isolement avant de repartir… L’escale ne durera
que 36 heures avant une seconde de même durée, 40 milles plus loin.
Un voilier voisin égaille cette fin de parcours, il s’agit
d’un monocoque, voisin de ponton de Shelter Bay, à son bord deux suisses
francophones que nous ne tardons pas à
joindre à la VHF. Amos ayant engagé la discussion avant de nos passer le
biniou, la termine avec un naturel qui lui est cher, en orientant à son
avantage le dialogue vers un comparatif des équipements des deux bateaux, à ce
jeu là il gagne forcément, puis enfin, dans un élan de suffisance
démesurée, à tenté de vendre son bouquin
(mentionné plus haut) par VHF au milieu du Pacifique… En raccrochant il ne peut contenir son esprit
de grand régatier en remarquant, tous sourires, que nous sommes partis des
Galapagos une journée après ce bateau, et que nous arriverons vraisemblablement
quelques heures avant. Ce résultat n’est pourtant pas glorieux, je ne m‘en
vanterais pas, nous venons de brûler 700 litres de gasoil, notre
« adversaire » n’a qu’un réservoir de 60 litres…
11/04
Au réveil l’île de Fatu Hiva se dresse devant nous, très
haute, elle se perd dans les nuages, lesquels cachent le soleil et nous arrose
d’un petit crachin. Dans quelques petites heures l’ancre plongera, la grande
traversée sera terminée…
Epilogue.
Déçus? Sur le plan relationnel c’est évident, mais aussi sur
le plan navigation pure; on nous a contraint à une croisière aseptisée,
frustrante, au cours de laquelle nous n’avons pas eu souvent l’impression de
faire de la « bonne voile » et d’en ressentir les émotions associées.
La hantise de l’imprévu a rendu cet embarquement fade. En partant sur ce bateau
nous pensions vraiment recevoir une formation de choc, c’était en fait l’aspect
le plus motivant; une fois de l’autre côté le bilan laisse à désirer, les deux
seules principales leçons techniques retenues sont un nœud de chaise
terriblement simple et la mise en place d’un substitut de tangon pour
catamaran. Non, objectivement nous n’avons vraiment rien appris de nouveau, ni
en météo, ni en navigation, on à simplement appris de nous et du type d’équipage
avec lequel on ne voudra plus embarquer. Ceci dit plus les milles défilaient
moins nous étions réceptifs aux leçons et commentaires de notre capitaine.
|
"tangon" pour cata, le but étant d'écarter la voile de son point
d'écoute. |
J’espère ne pas trop vous avoir saoulé, il est vrai que ce
blog aura été un défouloir, une soupape pour nous à l’idée que quelqu’un soit
témoin de notre aventure. Nous avons eu de nombreux cas de conscience en se
demandant s’il était nécessaire et raisonnable de vous livrer toutes ces
situations, tantôt grotesques, tantôt douloureuses. D’une part par respect pour
nos « partenaires », peut être aussi par respect pour nous même. Et
puis merde, comme je l’ai dit au début (elle est froide), cette navigation
n’aurai pas été la même sans tout cela, on ne peut donc pas vous laisser
ignorer ce qui nous a pris la tête pendant 3000 milles.
Comme on est bien cons, nous allons aller jusqu’au bout de
notre engagement, nous prendrons définitivement congé de ce bateau à Tahiti, et
je ne vous cache pas que nous avons bien hâte!
En chiffres: 21,c’est
la rafale de vent la plus forte observée, 3000 milles, 23 jours, 2 poissons de
la honte, 700 litres de GO, 16 paquets de tabac et 8 paquets de blonde (on
trouve le réconfort dans ce qu’on peut), 3 livres supers (Germinal de Zola, Le
lièvre de Vatanen d’Arto Paassilinna, et surtout Navigateur en solitaire de
Joshua SLocum), et enfin un trentaine de poulets morts desquels nous avons pu
tirer quotidiennement et jusqu'à écœurement soit une cuisse soit un filet. Je
crois qu’Eole à été sensible à ce sacrifice car nous avons largement été
épargnés, le Pacifique portant bien son nom.